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Job ou l'Autre Dieu


Après la lecture de « L’Autre Dieu » de Marion MULLER-COLARD, j’écris ces quelques lignes qui ne sont ni une fiche de lecture, ni un résumé mais seulement une libre reprise du thème principal qu’il aborde.

Le livre de Job met en scène la grande interrogation de la foi : pourquoi l’homme aime t-il Dieu ? Pourquoi croit-il en Dieu ? Est-ce vraiment d'un mouvement désintéressé qu'il s'approche de Lui ?

La vérité, celle de Job au commencement de l’histoire comme la nôtre la plupart du temps, c’est que notre amour de Dieu est porté par une sorte de contrat tacite et inconscient faisant de Dieu le garant de notre sécurité. Nous l’aimons parce que nous y trouvons notre compte. Mais cette divinité dont nous essayons de nous attirer les bonnes grâces, cette force inquiétante que nous tâchons de domestiquer par toute sorte de rites n’est que le dieu de notre imaginaire. Le Dieu Vivant, celui qui nous échappe toujours, veut nouer avec nous une relation d’amour mais nous résistons à cette Alliance et préférons faire de lui le simple signataire d’un contrat. La religiosité se fait parfois l’ennemie de la foi. Il est vrai que tout système religieux court le risque d’enfermer Dieu en essayant de le domestiquer afin qu’il reste favorable à ceux qui l’invoquent et accomplissent envers lui leurs dévotions.

Combien cessent de croire en Dieu le jour où survient un malheur dans leur vie ? Combien rejettent Dieu parce qu’il a d’après eux, rompu le contrat ? Le contrat tacite qui stipulait que leur fidélité religieuse devait les préserver de tout malheur. Effrayés par les événements qui surviennent dans nos vies sans logique apparente, nous cherchons en ce dieu là, ce dieu contractuel, une logique, une raison qui nous permette d’échapper à l’arbitraire de la vie. Et nous sommes alors souvent pris dans cette alternative bêtement binaire : ou bien Dieu est le papa gentil qui veille sur moi ou bien il est cette puissance perverse qui se joue de moi. Dans l’un et l’autre cas, ce sont nos constructions mentales qui inventent dieu et qui nous empêchent de rencontrer véritablement le Dieu vivant, l’Autre Dieu, celui qui peut enfin se manifester lorsque s’écroulent nos représentations trop humaines.

Job n’a rien fait de mal, il a toujours été d’une piété exemplaire vis à vis de son Dieu. Il est tout drapé de la certitude que sa prospérité n’est que la juste rétribution de sa fidélité. Le contrat avec Dieu est clair. Mais lorsqu’il perd d’un seul coup sa fortune, ses enfants et sa santé, le bel édifice se fissure et commence alors cette lente descente au fond de lui-même, au fond de sa foi, au fond de la terre. Mis en demeure par ses (faux) amis de rester dans le cadre du contrat initial et de reconnaître que ces malheurs ont forcément une explication devant Dieu, Job résistera à ce retour en arrière. L’enclos qui protégeait sa vie lui a été retiré et c’est désormais désarmé de toute certitude qu’il crie vers Dieu. Il crie vers Dieu en reconnaissant qu’il ne reconnaît plus Dieu, qu’il ne comprend plus.

C’est ce chemin-là, cet exode, qui le conduira à se tenir devant Dieu non plus comme devant un objet mais devant un sujet. Non plus devant le garant de son bien être mais devant un amour gratuit qui n’attend rien d’autre que d’être aimé. Gratuitement. Sans raison. Puis-je aimer Dieu pour rien ? Puis-je me tenir devant Dieu comme devant un sujet et non devant l’objet de mes représentations ?

Les amis de Job parlent de Dieu. Job parle à Dieu. La nuance est de taille ! Même si sa parole n’est plus qu’un cri de souffrance, au moins c’est une parole adressée à Dieu, non pas un discours sur Dieu ; une parole adressée à une personne et non une argumentation sur un objet. L’épreuve traversée par Job l’a dépouillé de tout. Pas seulement de ses richesses et de sa santé mais d’une réalité bien plus fondamentale dont nous avons tant de mal à nous laisser dépouiller : Job est désormais débarrassé de tout le système dans lequel il avait enfermé Dieu. Un Autre Dieu peut alors se manifester à lui.

Tôt ou tard un jour, se présente à nous la grande question de la foi, la question de Job. « Pourquoi croyons-nous en Dieu ? » Toute vie doit un jour affronter l’épreuve. Grande ou petite ; en ce domaine il n’y a pas de baromètre, pas de thermomètre de la souffrance. En ce domaine chacun de nous se retrouve seul. Tôt ou tard, ne serait-ce qu’à l’instant de la mort, il nous faut vivre l’épreuve de Job.

Comment réagissons-nous ? Nous pouvons rester enfermés dans la vision tellement humaine d’un dieu façonné à l’aune de nos petits arrangements ; rester dans cette alternative binaire et balancer continuellement entre la soumission et la rébellion. A vrai dire la grande majorité ne parvient pas à sortir de cette alternative. Certains se soumettent, d’autres se rebellent. Mais bien peu l’aiment en vérité.

Car pour l’aimer vraiment il faut accepter cet autre chemin, celui de Job. Il faut laisser s’écrouler l’édifice intérieur, sortir du contrat pour entrer dans cette Alliance d’un Dieu plus grand, d’un Dieu Tout Autre, qui n’attend rien d’autre de nous qu’un amour libre : aimer Dieu sans rien attendre de lui. Il me semble que c’est cette brèche précisément qu’ouvre l’Evangile.

Aucune réponse à la question du mal ne nous est donnée dans l’Evangile. « Qu’est ce que j’ai fait au bon Dieu ? ». Que cela nous plaise ou non, la foi chrétienne n’a aucune réponse à cette question. Car une réponse constituerait à nouveau un discours, une justification, comme si Dieu avait des comptes à nous rendre. L’unique réponse de l’Evangile demeure dans le silence de la croix de Jésus : Dieu qui se livre et se donne à aimer au cœur même de la souffrance. Seul ce Dieu-là est réellement libre de toutes nos projections et de toutes nos attentes. Seul ce Dieu-là se donne à aimer librement. Seul ce Dieu-là nous rend libres.


Pierre Alain Lejeune

13 septembre 2016

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