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Serviteurs à l'école de la liberté


Dans l’Evangile de ce dimanche :

« Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre une place à table ?’

Ne lui dira t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ?

Va t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »

Si nous voulons entrer en vérité dans l’Alliance que Dieu nous offre, nous ne pouvons pas contourner ces paroles de Jésus qui paraissent pourtant si dures à entendre. C’est que, par ces mots, Jésus vient mettre le doigt sur une ambiguïté profonde qui nous empêche d’être vraiment libres devant Dieu.

Il est vrai que nous aimons nous présenter devant Dieu comme de bons élèves ayant fait leurs devoirs et ainsi recevoir de notre maître la juste récompense de nos efforts. Nous attendons de lui de la reconnaissance. Mais mendier de la reconnaissance, n’est-ce pas encore une manière - certes plus subtile - de se chercher soi-même ? Et donc de rester enfermé dans sa propre image.

Jésus nous veut libres devant lui. Car sans liberté, il n’y a pas d’amour.

Et Jésus est habile pour déjouer les manœuvres inconscientes par lesquelles bien souvent nous faisons de Dieu le miroir de notre propre orgueil. Il ne peut se contenter de nous voir nous approcher de lui tels de « bons serviteurs » cherchant dans le regard de leur maître un peu de reconnaissance.

Rien ne nous emprisonne plus que cette quête narcissique de nous-mêmes dans le regard de l’autre, fût-il Dieu. Rien n’entrave plus notre liberté que cette idée d’un dieu auquel il faudrait « plaire », dont nous aurions à mériter la reconnaissance. Mais le Dieu de l’Alliance n’a que faire de nos petites stratégies de mérites recherchés. Il n’a que faire de nos petits arrangements de commerçants.

Car son amour nous est donné en amont de tout le reste ; avant même que nous ayons levé le petit doigt, il nous aime d’un amour infini. Et nous qui pensions pouvoir mériter son amour ! Nous qui pensions, par nos efforts de bons serviteurs, nous attacher sa bienveillance ! C’était encore une manière de travestir son amour, de penser que nous pouvions le mériter et donc le posséder.

Nous ne méritons rien. Son amour est donné. Sans lui, nous n’existerions même pas.

Nous serons des serviteurs vraiment libres lorsque nous serons débarrassés du désir de lui plaire, lorsque nous en aurons fini avec cette recherche du mérite et cette quête de nous-mêmes. Dieu nous aime avant tout autre chose, à la racine de notre être.

Ce n’est pas parce que nous le servons qu’il nous aime ; c’est parce qu’il nous aime que nous pouvons le servir, vraiment. Et notre action devient alors action de grâce. Alors, servir peut devenir autre chose que rechercher une récompense. Alors être serviteur ne signifie plus du tout ce que nous entendons habituellement sous ce mot. Alors être serviteur devient une autre manière d’entrer dans l’amitié de Dieu : « Je ne vous appelle plus serviteurs ; désormais je vous appelle mes amis » (Jean 15,15).


Pierre Alain Lejeune

1er Octobre 2016

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