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Trois brèves


Déplacement

La réunion avec les jeunes de la paroisse vient de s’achever. Avec Karen (photo) , nous marchons sans rien dire dans la rue qui sépare le centre paroissial du presbytère. Il fait déjà nuit noire mais la chaleur n’a pas encore vraiment relâché son emprise et notre démarche se fait très lente, à mon goût en tout cas.

Tout à coup Karen s’arrête :

- Padrecito, tu marches trop vite !

- Quoi ?!?! Mais… si je marche moins vite… je tombe !

Elle me regarde en souriant. Faisant amende honorable je repars en essayant de me mettre à son pas. Je lui explique alors qu’à Paris dans le métro, les gens courent ; il y a même des tapis roulants pour accélérer encore le mouvement.

- Mais pourquoi ?

C’est vrai ça, pourquoi ? Je ne répondrai rien à la question de Karen. Mais je lui dis que, promis juré, je vais essayer de marcher à son rythme.

Si je n’ai rien répondu à Karen c’est que j’avais un peu honte de la réponse. Nous courons pour gagner du temps. Parce que nous sommes hantés par l’obsession de gagner ; ou plutôt de ne pas perdre. Nous courons parce que nous considérons toujours le déplacement entre deux points comme du temps perdu. Du coup, nos journées sont comme envahies de « temps perdu », comme des trous noirs et sans vie. Dans le tram, dans les rues, dans les embouteillages au volant de nos voitures, regardez tous nos visages rivés sur les smartphones, comme pour tenter ne pas perdre ce temps précieux…

Mais si en Occident nous avons si peur de perdre notre temps, c’est certainement parce que nous pensons en être les propriétaires. A vrai dire nous nous croyons propriétaires du temps comme de tout le reste et même de la vie. A vrai dire nous sommes trop riches de tout… Heureux les pauvres ! Ils n’ont rien à perdre.

La prière des grenouilles

Avec Santiago, notre « anciano » qui vient d’avoir 77 ans, nous dînons silencieusement dans la cuisine du presbytère. La nuit vient de tomber et dans le jardin, le chant des grenouilles a repris comme chaque soir. Les grenouilles d’Amazonie émettent un sifflement court et répété, toujours sur la même tonalité.

Tout à coup Santiago rompt notre silence et me dit l’air malicieux :

- Si Dieu ne se fatigue pas du chant des grenouilles, c’est donc qu’il ne doit pas se fatiguer non plus de nos prières…

Je me promets de ne pas oublier cette parole de sagesse…

Il faut reconnaître que du côté de Dieu, notre prière doit être d’une monotonie ! La patience n’est sans doute pas la moindre des qualités du Très Haut. Il ne se lasse pas de nous écouter… Et mieux encore : Jésus nous invite à prier Dieu sans cesse comme une vieille veuve qui casserait les oreilles du juge pour obtenir satisfaction.

Les personnes que je rencontre ici ont un niveau d’instruction assez faible. Beaucoup savent à peine lire et écrire. Ils n’ont pas forcément les mots pour élaborer de belles prières personnelles et bien tournées. Ils reprennent simplement les mots qu’ils ont appris par cœur depuis l’enfance : Notre Père, Je vous Salue Marie,… Les enfants de chœur après la messe dans la sacristie récitent à tue-tête « Âme du Christ » (d’ailleurs combien d’enfants chez nous, connaissent cette belle prière ?). La prière récitée serait-elle moins précieuse aux oreilles de Dieu ? Je n’en suis pas sûr du tout. Inventées ou récitées, bien tournées ou maladroites, nos prières ont pour Dieu la même valeur. Une mère s’ennuie t-elle des balbutiements répétés de son enfant ?

C’est la cloche qui décide

Les funérailles étaient prévues à 16h cet après midi. (A San Ignacio il y a un à deux enterrements par jour ; mais que les collègues se rassurent, la célébration ne dure que 15 minutes…). Mais il est à peine 15h lorsque le glas se met à sonner soulevant une grande agitation dans le presbytère ; la sieste était à peine achevée.

Devant l’église arrive le convoi : le cercueil fait de simples planches sans vernis est porté par des membres de la famille et la foule suit, à pied, les femmes en noir, les hommes en chemises blanches. Le cortège est accompagné par un véritable orchestre que l’on pourrait comparer à nos fanfares municipales.

Nous préparons l’église à la hâte. Interloqué je demande à Bernardo :

- Mais qui décide de l’heure exacte de la célébration ?

- C’est quand sonne le glas.

- Mais qui sonne ?

- Le sacristain

- Et qui dit au sacristain de sonner ?

- Il sonne quand il voit arriver le convoi

- Mais quand part le convoi ?

- Quand ils entendent sonner la cloche

- ?!?!?

Bref, les horaires restent ici un vrai mystère et les prêtres sont habitués à cette improvisation permanente : il faut souvent commencer une célébration au pied levé sans même que rien n’ait été annoncé. On ne sait jamais trop qui décide de quoi mais tout à coup, il faut se mettre à prier. Bon, dans ce cas… prions.

Lorsqu’un décès survient, l’enterrement doit intervenir dans les 24h au plus car il n’y a rien ici qui permette de conserver les corps. Je comprends mieux maintenant pourquoi il est indispensable qu’au moins un prêtre soit toujours présent au presbytère. Il faut être là, prêt à accueillir ce qui vient. Vous conviendrez que dans ces conditions, l’agenda ne sert pas à grand chose…

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