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Interdit aux - de 12 ans


J’espère que vous avez verrouillé vos ordinateurs et activé tous les contrôles parentaux nécessaires pour maintenir vos enfants loin de la bombe atomique que ce message pourrait susciter dans leurs vies encore innocentes. Car voilà, il faut que je vous avoue quelque chose et il m’en coûte d’aller jusqu’au bout de cette opération vérité mais, bon… enfin voilà : le Père Noël n’existe pas !

Enfin en tout cas, à San Ignacio de Mojos, pas le moindre traineau, pas le plus petit bonhomme rouge à se mettre sous le porte monnaie. Rien, absolument rien qui ne ressemble à la frénésie consumériste qui sévit sous nos latitudes, aucun symptôme de cette poussée de fièvre acheteuse qui nous reprend de manière compulsive dès que s’annoncent les premières rigueurs de l’hiver. J’ai beau chercher dans les boutiques, interroger tous les passants, questionner jusqu’aux plus anciens : « Père Noël ? Connais pas. Jamais entendu parler. Non vraiment, je ne vois pas ». Dans ma joie et n’en croyant pas mes oreilles, je poursuis mon enquête jusqu’à obtenir une réponse qui pousse ma jubilation jusqu’à l’extase : « Ah oui, le bonhomme du dessin animé américain ? ». Voilà le héros de nos grandes enseignes, le demi dieu de nos temples à fric réduit à un vulgaire personnage de dessin animé étasunien… Ah, je n’en demandais pas tant !

Mais alors me direz-vous, comment prépare-t-on Noël à San Ignacio s’il n’y a pas de Père Noël ? Eh bien justement, on prépare Noël ! Et d’une si belle manière ! Ce que nous avons vécu avec les enfants cet après-midi a illuminé ma journée au point que je ne peux pas me coucher sans vous en faire le récit.

Aujourd’hui commençait la catéchèse de Noël des enfants. Il faut savoir que les grandes vacances ont commencé depuis 10 jours. A 14h pétantes, Orlando, un frère jésuite, réunissait une quarantaine de jeunes lycéens de la paroisse pour organiser l’après midi. Après la présentation du thème de la journée – aujourd’hui l’Annonciation – les jeunes s’organisent par équipes de 4 ou 5 pour se répartir les 10 petites chapelles de quartier de la ville. Je me joins à 5 jeunes qui se rendent dans le quartier de Villa Niña où se trouve une petite chapelle de briques mal ajustées et ouverte aux quatre vents. Fernando a emporté sa guitare. En arrivant Maria Isabel sonne ce qui fait office de cloche : ici une vieille bouteille de gaz suspendue à une poutre ; mais selon les chapelles ça peut être également une vieille jante rouillée, un bout de carrosserie et même… une hélice d’avion. Après quelques minutes, les premiers enfants arrivent en courant ; ils ont entre 3 et 10 ans et les plus grands qui se souviennent des années passées semblent attendre ce jour avec impatience. Nous atteignons bientôt la trentaine d’enfants et notre petite troupe se met en marche accompagnée par la guitare de Fernando. La pluie qui menace semble n’inquiéter que moi… Et ainsi, des quatre coins de la ville, des hordes d’enfants convergent en chantant vers la chapelle du quartier de Marchena qui a été désignée aujourd’hui comme lieu de rassemblement. Les gamins jouant dans la rue se joignent progressivement à notre marche trouvant là une occupation nouvelle et confirmant une fois de plus que Corneille avait raison : « Nous partîmes cinq cents mais par un prompt renfort nous nous vîmes trois mille en arrivant au port ».

Nous arrivons d'ailleurs au port où Orlando nous accueille avec une équipe de lycéens pour faire chanter, danser, crier tout ce petit monde pendant près d’une demi heure. De nouvelles troupes d'enfants arrivant la chapelle s’avère finalement trop petite, il faudra continuer dehors. Puis commence la catéchèse à proprement parler. Les enfants sont réunis par équipes de quartier autour des grands qui les ont conduits jusqu’ici et qui assurent eux-mêmes par petits groupes la catéchèse du jour ; à partir de l’Évangile de l’Annonciation en faisant jouer l’imagination des enfants, selon la méthode ignacienne bien éprouvée. J’ouvre grands mes oreilles :

- Que faisait Marie dans sa maison ce jour-là ?

- Elle aidait sa maman à la cuisine !

- Quel temps faisait-il ?

- Grand soleil !

- Comment s’appelle l’ange qui lui rend visite ?

- Euh… Miguel ? Mais non… Gabriel !

- Pourquoi Marie a t-elle dit oui ?

- Parce qu’elle aimait Dieu très fort !

C’est simple mais il me semble que cette simplicité a quelque chose d’évangélique. Peu à peu l’histoire devient concrète, imagée et finalement tellement proche de notre vie. Et toujours pas l’ombre d’un pompon de Père Noël, ni même de cadeaux. Noël est pourtant bien la fête des enfants ici aussi mais il semble clair que l’approche est assez différente…

Après quelques autres danses et la prière du Notre Père, nous nous disons « à demain » et chaque groupe repart vers son quartier, toujours accompagné par les grands lycéens. Nous recommencerons chaque jour jusqu’au 23 décembre. Aujourd’hui 250 enfants sont venus ; d’après Orlando ce chiffre devrait être multiplié par deux ou trois d’ici quelques jours. En repartant, chaque enfant reçoit un petit ticket qu’il gardera précieusement et auquel s’ajouteront ceux des jours suivants. Et le dernier jour, le 23 décembre, une grande fête sera préparée pour eux avec toutes sortes de friandises et de boissons ; les tickets seront comme une monnaie d’échange. Pour préparer cela, les lycéens ont réalisé une grande collecte la semaine dernière. En faisant du porte à porte dans toute la ville, ils ont récolté plus de 3000 pesos (environ 400 €) : de quoi préparer un véritable festin pour les 500 à 700 enfants attendus à la fin de ce cycle de catéchèses. Le voilà le Père Noël local !

En fait, le Père Noël est ici communautaire. C’est toute la richesse d’une société dans laquelle le lien social est resté très fort et où la culture, en harmonie avec la foi, joue un rôle déterminant d’identification et de transmission. Le génie des jésuites depuis le 17ème siècle a été d’accueillir la culture amérindienne sans la juger a priori, de la respecter, de la mettre en valeur, d’en révéler la beauté et le génie en cherchant les points de convergence avec l’annonce de Jésus-Christ. Du coup, pour n’importe quelle fête religieuse, les danses traditionnelles sont reprises par tous, les gamins de 4 ou 5 ans suivant les pas de leurs parents, les adolescents apprenant les airs de flûte ainsi que l’art pictural mojeño (cf. les photos des jeunes décorant l’église). Il me semble qu’une telle société est bien mieux protégée que d’autres contre le rouleau compresseur de la grande soupe mondialiste et de son représentant de commerce en pompons rouges et blancs…

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