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Une lecture indigène de Isaïe 11


Voici la traduction d’un texte du P. Fabio Garbari sj, curé du Moxos, écrit après un partage biblique autour du chapitre 11 d’Isaïe avec les catéchistes des communautés indigènes de la région de Moxos. Ce texte, certes un peu long, est une très belle relecture, à la lumière de la Parole de Dieu, de l’histoire du peuple mojeño ainsi que de la signification de ses danses traditionnelles. Ayant moi-même accompagné nombre de ces processions depuis plus de trois mois, j'ai lu et traduit ces lignes avec un grand intérêt. Les notes de bas de pages sont de moi. Les citations bibliques sont tirées de la Bible de Jérusalem

La consonance que je perçois entre les images décrites dans le texte d’Isaïe retranscrit ci-dessous et l’expérience des danses et des fêtes patronales des communautés de la Province de Mojos est impressionnante. Depuis que je suis arrivé comme curé à Moxos, j’accompagne la vie du Grand Cabildo Indigène [1] et les groupes qui le composent, en particulier celui des sacristains, du chœur musical et quelques autres ainsi que des communautés plus petites ; à l’occasion des fêtes, je continue de découvrir quelque chose de sacré, quelque chose qui, sans porter atteinte à la sincère dévotion aux saints patrons, la dépasse largement.

« Le loup habitera avec l’agneau, la panthère se couchera avec le chevreau. Le veau, le lionceau et la bête grasse iront ensemble conduits par un petit garçon. La vache et l’ours paîtront, ensemble se coucheront leurs petits. Le lion comme le bœuf mangera de la paille. Le nourrisson jouera sur le repaire de l’aspic, sur le trou de la vipère le jeune enfant mettra la main » Isaïe 11, 6-8

Ces images bibliques poétiques évoquent en mon esprit ce que je ressens durant les processions lorsque je précède la statue du Saint Patron de la communauté en suivant les chevreuils et les brebis [2], accompagné par les fiers macheteros [3] et les tigres féroces ; ce que je ressens lorsque les achus [4] burlesques égayent la fête par leurs blagues, rappelant ainsi que la joie est une dimension fondamentale de la vie. La nature et l’humanité restituées dans leur innocence originelle, chantent et dansent avec allégresse l’harmonie de la création. Et il est clair que dans la toile de fond de ces images, la splendeur de la Montagne Sainte représente la Terre sans mal qui depuis des générations bat dans le cœur indigène de Moxos et qui est mentionnée dans la suite du texte d’Isaïe :

« On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte car le pays sera rempli de la connaissance de Yahvé comme les eaux couvrent le fond de la mer » Is. 11,9

Je me suis risqué à évoquer ces sentiments lors d’une rencontre avec des frères et des sœurs indigènes, animateurs religieux dans les communautés rurales de Moxos. Mes impressions se révélèrent pâles et fades à côté de la lumière que ces passages d’Isaïe provoquèrent chez eux ! A partir du premier verset du chapitre 11 d’Isaïe surgit cette icône qu’ils peignirent de manière quasi plastique devant mes yeux.

« Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines » Isaïe 11,1

Les indigènes en commentant ce verset dessinèrent l’image d’un grand tronc abattu dans la forêt, un tronc mort, à moitié recouvert par la végétation. Le tronc était tombé sous les coups de hache de l’oppression, des abus, de l’avidité et de la soif du gain. Pourtant selon les commentaires des indigènes, ce tronc tombé dans la forêt a continué d’être le gardien « de l’Esprit de Dieu et de la Sainte Mère l’Eglise, de l’esprit de nos ancêtres et de la Vierge Marie : ils sont notre tronc et nous ne pouvons pas les oublier ».

Mais l’image ne s’arrête pas là : ce tronc abattu, tombé également parce qu’il fut dévoré par les termites de la division et de la jalousie, continue de générer des pousses. Là où l’écorce est en contact avec la terre humide, des racines ont poussé et se sont enfoncées dans l’humus riche de l’histoire, une histoire pleine de Dieu qui se maintient toujours vivante. Et un bourgeon germe de ce vieux tronc. Une nouvelle pousse est en train de naître.

« Sur lui (le nouveau surgeon) reposera l’Esprit de Yahvé, esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte de Yahvé » Isaïe 11,2

Les frères et les sœurs sont touchés et se mettent à parler comme des prophètes… il s’identifient à cette nouvelle pousse, ils invoquent l’Esprit de Dieu en lui demandant sa sagesse et son courage. Ils reconnaissent qu’il est importance que ce nouveau surgeon grandisse dans la connaissance de Dieu, le Dieu des ancêtres, pour le respecter et gouverner selon son cœur. La richesse des ancêtres, la culture millénaire fécondée par la découverte vivante de Jésus, l’harmonie entre les œuvres vivantes de la création et de l’humanité, demeurent présentes sur ce vieux tronc qui gît dans la forêt.

Et en jetant un regard sur les dernières décennies, ils se souviennent de la dernière chute du vieil arbre, lorsque cet arbre ancestral fut agressé par les étrangers qui s’étaient approprié les terres des ancêtres ; ces terres étaient le berceau et la maison de ce vieil arbre. Des gens venant d’ailleurs s’étaient approprié ses richesses. La maison et le berceau de l’arbre ne sont plus comme avant : aujourd’hui ils changent de nom et de sens ; aujourd’hui ils sont devenus des opportunités économiques. Les poutres qui depuis toujours étaient destinées à donner la vie à la forêt par la construction des maisons, remplissent maintenant les tirelires des étrangers ; les troupeaux qui sont arrivés dans le grand Moxos à l’initiative du jésuite Cipriano Barace afin de procurer le pain quotidien des foyers durant l’époque florissante des missions de la forêt, sont devenus la cause de la déforestation, clôtures et barbelés remplaçant arbres et arbustes. Un siècle plus tôt, ce sont le caoutchouc et la quinoa qui avaient réveillé la convoitise en abattant le vieil arbre et en laissant une fois de plus son tronc à terre dans la forêt.

Les frères et les sœurs continuant leur partage reconnaissent la présence de ce tronc qui n’est pas encore mort. La végétation l’a recouvert, l’a caché, l’a gardé en son sein. Mais elle ne l’a pas laissé pourrir : peu à peu les racines ont recommencé à pousser et un nouveau surgeon, presqu’accidentellement a surgit et s’est transformé en une branche. Et cette branche, avec laquelle les indigènes s’identifient, veut donner des fleurs et des fruits et ses semences sont prêtes à voler de partout. C’est le miracle de la vie, la vie qui continue de battre dans le vieux tronc.

Et Isaïe nous parle de cette nouvelle branche tandis qu’ils continuent à s’identifier à elle en rêvant et prophétisant en même temps.

« Il jugera mais non sur l’apparence. Il se prononcera mais non sur le ouï-dire. Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays » Isaïe 11,3-4a

Voilà que l’histoire de ces terres revit de ce tronc : revenons au 17ème siècle en nous rappelant l’histoire du peuple mojeño menacé par la voracité d’un système politico-économique étranger qui arrive ici pour faire prospérer son économie par la force et sur le dos de ces peuples. Au début, l’inaccessibilité de la forêt protégeait ses habitants mais avec le temps elle ne pu freiner la bestialité de ceux qui dans le Grand Moxos réduisaient les humains en esclavage comme des animaux en les entraînant dans la violence qui régnait alors sur les marchés d’esclaves. Par la miséricorde de Dieu, sa Parole devança les convoitises humaines. Apportée par les soutanes noires des jésuites, la Parole arriva et renforça le bois de l’arbre ancien : « la Parole qui fait justice aux faibles et défend le droit des pauvres » a devancé la convoitise violente des intérêts économiques. Et l’arbre ancien s’est fortifié, a grandi et a donné du fruit. Et les fruits produisirent des semences qui se répandirent de tous côtés et le Grand Moxos se remplit de missions : des arbres dont le tronc grandissait toujours plus. Nous lisons la description de cette histoire avec une analogie stupéfiante en Isaïe :

« Par sa Parole il frappera l’oppresseur et du souffle de ses lèvres fera mourir le méchant. La justice sera la ceinture de ses reins et la fidélité la ceinture de ses hanches ». Isaïe 11, 4b-5

Et c’est ainsi que la Parole de Dieu devançant l’arrivée des intérêts politico-économiques empêcha que la colonisation pénètre en ces terres et permit que la société indigène s’organise selon ses propres valeurs.

Au niveau politique la société indigène-missionnaire a maintenu et a organisé la forme de gouvernement indigène : celui-ci fonctionnait par roulement, comme des services dont chacun à son tour devait s’acquitter, avec une grande diversité de tâches et de spécialités variées et complexes. Après l’expulsion des jésuites [5] le pouvoir civil colonial dut créer son organisation à partir de rien car il ne trouva pas dans la société missionnaire un modèle pouvant correspondre à sa conception du gouvernement ; il ne pu pas prendre simplement la place des ecclésiastiques dont le rôle n’était pas au service du pouvoir temporel. La hiérarchie ecclésiastique missionnaire mojeña, loin de tout cléricalisme, avait entrepris de confier aux laïcs de nombreux ministères ecclésiaux qui se sont maintenu ainsi jusqu’à aujourd’hui sans être dépendant de la présence des clercs.

Au niveau économique, la vie missionnaire consista à maintenir et renforcer le sens de la propriété commune propre aux indigènes qui ignorent le concept de propriété privée ; elle s’efforça également de s’adapter à la vision indigène du travail qui est considéré non comme un moyen de produire de la richesse mais comme un instrument pour obtenir de quoi subvenir aux besoins de chacun. L’économie missionnaire n’était pas fonction du capital, une réalité qui n’a jamais existé dans le Moxos missionnaire. Le commerce et l’acquisition étaient limités aux cas dans lesquels il était nécessaire d’importer ce qui ne pouvait être produit localement. Ce système économique indigène qui existait avant les missions fut sensiblement renforcé : il s’étendit à un nombre important d’habitants. De telle sorte que l’économie étrangère vorace qui porte un regard de convoitise sur les dons de Dieu en voyant dans les arbres, les fruits, les troupeaux, la forêt, la nature, la création autant de générateurs de capital, resta étrangère au Moxos missionnaire. Pour cette raison l’économie missionnaire ne fut utilisable que par les indigènes de la région et les aventuriers étrangers qui, depuis l’expulsion des jésuites, cherchèrent ici l’Eldorado furent déçus. Même aujourd’hui, alors que l’économie extractive et capitaliste est entrée avec force dans le Grand Moxos (abattant à son passage le tronc de l’arbre ancien) le monde indigène continue de recevoir avec reconnaissance les dons reçus de la nature, en les organisant pour que ne manque pas le pain quotidien mais ne cherchant pas à accumuler des richesses.

« Le loup habitera avec l’agneau, la panthère se couchera avec le chevreau. Le veau, le lionceau et la bête grasse iront ensemble conduits par un petit garçon. La vache et l’ours paîtront, ensemble se coucheront leurs petits. Le lion comme le bœuf mangera de la paille. Le nourrisson jouera sur le repaire de l’aspic, sur le trou de la vipère le jeune enfant mettra la main » Isaïe 11, 6-8

Comme nous l’avons rappelé au début, durant des siècles, les indigènes ont représenté cette vision prophétique de la réalité, à travers les danses de la fête patronale ; les danses ne sont pas un spectacle mais une représentation sacrée qui rend actuel ce qu’elle figure. C’est également grâce à cette représentation sacrée que s’est maintenu vivant le tronc ancien si bien qu’il a pu faire surgir de nouvelles branches pouvant pouvant répandre au loin leurs semences.

Et depuis des siècles, le tronc abattu de l’arbre ancien transformé en présence vivante grâce aux danses mojeñas, renouvelle périodiquement ses surgeons qui se transforment en arbres nouveaux à travers la même sève ancestrale, de même que l’humidité et l’humus ne permettent pas que meure le tronc abattu ; la mémoire du village qui devient vivante année après année par la fête patronale, transforme la mort du village en une nouvelle vie ; la nostalgie de la Montagne Sainte revient comme une réalité vivante, la Terre sans mal entrevue par les ancêtres se fait présente à nouveau.

Et c’est ainsi que depuis le XIXème siècle, le tronc abattu de l’arbre ancien a donné naissance à de nouvelles branches qui ont produit des semences qui, en se répandant, ont donné vie à de nouveaux petits arbres. Durant tout le siècle passé, le tronc abattu a révélé de nouvelles branches à travers les communautés indigènes nées dans la forêt en recherche de la Montagne Sainte.

« On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance de Yahvé, comme les eaux couvrent le fond des mers ». Isaïe 11,9

De nouveaux villages et de nouvelles communautés naquirent dans la forêt qui les protège : ils étaient les nouveaux arbres qui ont poussés directement des pousses du tronc abattu de l’arbre ancien. Jusqu’à ce que le pouvoir politico-économique étranger revint à nouveau dans le Moxos ; par une intrusion agressive, il commença à s’intéresser à la forêt et aux nouveaux petits arbres nés des pousses du tronc. Comme une réponse à cette agression surgirent alors les marches indigènes de défense de la forêt, les marches pour la dignité et pour le territoire [6].

« Le Seigneur dressera un signal pour les nations et rassemblera les bannis d’Israël. Il regroupera les dispersés de Juda des quatre coins de la terre. Alors cessera la jalousie d’Ephraïm et les ennemis de Juda seront retranchés. Ephraïm ne jalousera plus Juda et Juda ne sera plus hostile à Ephraïm » Isaïe 11, 12-13

A travers ces marches, le peuple réussit à s’unir et à protéger dans la forêt les petits arbres nouveaux. Des dizaines de petites communautés peuvent ainsi continuer de mener une vie que le pouvoir politico-économique extérieur n’a pas réussi à coloniser ni à détruire.

C’est pour cette raison que les fêtes patronales dans le Moxos ont une valeur sacrée car elles réalisent ce qu’elles représentent. La fête garde son cœur tourné vers le futur, avançant joyeusement dans le présent et faisant mémoire d’un passé dans lequel la présence salvifique de Dieu a été déterminante dans l’histoire du peuple. La mémoire de la montagne Sainte dans les fêtes telles qu’elles sont célébrées aujourd’hui, est ce qui a maintenu vivant le tronc abattu de l’arbre ancien. Pour cela le peuple, à l’occasion des fêtes mojeñas, « retire ses sandales » comme Moïse devant le buisson ardent (cf. Ex 3,5).

Ce n’est pas sans inquiétude que nous assistons aujourd’hui à de nouvelles formes de présences à cette commémoration ancienne et ancestrale. Présences qui, sous prétexte de défendre la fête en viennent à porter atteinte à sa gratuité, sa spontanéité, sa spiritualité et sa religiosité, vidant ainsi ce mémorial de son contenu au nom de la mise en valeur folklorique de la fête et ouvrant les portes à ces pouvoirs politico-économiques qui jusqu’à maintenant n’ont pas réussit à la manipuler. Le tronc abattu mais toujours vivant, secret de la vie profonde et vraie de Moxos, court le risque de s’affaiblir en perdant le contact avec l’humus fertile de ses origines. Lorsque nous nous approchons des célébrations de la fête de Moxos, nous nous approchons d’une terre sacrée et nous devons enlever nos sandales. Mais aujourd’hui, non seulement nous n’enlevons pas nos sandales sur cette terre sacrée mais en plus nous la piétinons sans respect, corrompant ainsi l’humus vital de l’histoire du peuple [7].

Le mémorial de l’harmonie de la création qui depuis l’histoire passée se projette vers le futur est transformé en un pur spectacle. La spiritualité profonde des origines est manipulée pour être réduite à la beauté des couleurs. Le potentiel subversif et transformant est éteint, se limitant à la mélodie rythmique et musicale. La mémoire historique qui, comme une flamme lumineuse transforme la danse en cet humus qui donne la vie au vieux tronc, court le risque de s’éteindre et de se vider. Voilà la menace qui guette aujourd’hui les racines profondes de Moxos, les racines du tronc abattu qui s’est maintenu vivant dans le cœur indigène.

Découvrir la foi et la confiance dans l’avenir que les gens cultivent en leurs cœurs impressionne et remplit d’espérance. Ils sont conscients de la puissance du pouvoir économique qui a décidé aujourd’hui de coloniser la forêt. Ils sont conscients que, même le vieux tronc qui depuis des siècles gît sur l’humus de l’histoire et dont la présence continue de donner la vie, peut aujourd’hui être violenté et détruit. Ils sont conscients que l’arbre qui fut autrefois abattu par la force est maintenant menacé d’être détruit par les haches rusées de ceux qui génèrent la division, la corruption et la convoitise. Pourtant ils continuent de se saisir de cette Parole qui, un jour, a tellement fortifié l’arbre ancien qu’aujourd’hui encore il germe et lance au loin ses semences.

« Et tu diras en ce jour-là : je te loue Yahvé, car tu as été en colère contre moi. Puisse ta colère se détourner, puisses-tu me consoler. Voici le Dieu de mon salut : j’aurai confiance et je ne tremblerai plus, car ma force et mon chant c’est Yahvé, il a été mon salut. Dans l’allégresse vous puiserez de l’eau aux sources du salut ? Et vous direz, en ce jour-là : Louez Yahvé, invoquez son nom, annoncez aux peuples ses hauts faits, rappelez que son nom est sublime. Chantez Yahvé car il a fait de grandes choses » Isaïe 12, 1-5

C’est une menace nouvelle qui père aujourd’hui sur Moxos : la convoitise aujourd’hui n’entre pas par la force mais par la ruse, par l’appât du gain et l’enrichissement personnel. Comment résister à cette nouvelle menace ? Le vieil arbre, réservoir de la sagesse ancestrale se laissera t-il corrompre ? L’humus de l’histoire fécondé par la présence de Dieu cessera t-il de produire sa sève ? La convoitise coloniale n’a pas réussi par la force à atteindre la réserve de la vie ancestrale : y parviendra-t-elle aujourd’hui en empoisonnant, par cette même convoitise, l’humus dans lequel le tronc ancien plonge ses racines ? Est-ce qu’en cette terre sacrée où gît le tronc ancien, la séduction de l’argent et la violence de la convoitise l’emporteront sur l’innocence et l’harmonie de la création ?

En visitant les communautés indigènes de Moxos, je rencontre beaucoup de gens résignés qui après avoir lutté, disent avec tristesse : « Finalement ils vont entrer… et la forêt ne sera plus comme avant… ». Mais c’est avec émerveillement et admiration que je découvre également à Moxos ceux qui continuent à croire que l’ancien tronc continuera de résister aux attaques ; que la Parole qui a renforcé l’arbre depuis plus de 300 ans continuera de le protéger ; que les bourgeons ne cesseront de pousser et que l’Esprit ancien continuera de se frayer un chemin pour que l’humus fertile de l’histoire nourrissent ces nouvelles racines qui le cherchent afin de produire la sève qui donne la vie aux nouvelles pousses, afin que de se propagent de nouvelles semences. Tant que l’histoire mojeña du Salut continuera d’être cet humus vital où les racines du vieux tronc rencontrent la vie, la beauté subversive de la fête du Grand Moxos se révèlera en elle.

« On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance de Yahvé, comme les eaux couvrent le fond des mers. Ce jour-là, la racine de Jessé qui se dresse comme un signal pour les peuples, sera recherchée par les nations, et sa demeure sera glorieuse ». Isaïe 11, 9-10

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[1] Le Cabildo est l’assemblée qui fut, depuis l’époque des premières missions jésuites en charge de l’organisation sociale, culturelle et religieuse des communautés indigènes : l’équivalent d’un conseil municipal. Les missionnaires jésuites ont toujours veillé à travailler en collaboration avec le Cabildo sans se substituer à lui. Aujourd’hui, les conseils municipaux ayant pris le relais, le Cabildo survit comme un conseil des anciens qui veille à la sauvegarde et à la transmission de la culture, des traditions indigènes et à l’animation des fêtes religieuses.

[2] Les danseurs, et notamment les enfants, sont déguisés en animaux de la jungle ou de l’élevage : tigres, taureaux, oiseaux, brebis, etc…

[3] Les macheteros sont les célèbres danseurs du Moxos portant de grandes plumes.

[4] Les achus sont des danseurs portant un masque de bois et dont les chapeaux s’enflamment de pétards et feux d’artifice. Ils jouent le rôle du pitre ; par leurs blagues et leurs mimiques ils tournent en dérision tous ceux qu’ils rencontrent.

[5] En 1767

[6] Les marches indigènes marquèrent le soulèvement des communautés ethniques de Bolivie, Pérou et Equateur à partir du début des années 1990. Dans le Moxos deux grandes marches eurent lieu en 1990 à San Lorenzo puis en 2011 à Chaparina ; cette dernière marche fut durement réprimée par la police.

[7] Fabio fait ici allusion aux initiatives d’institutions publiques qui, sous prétexte de valoriser le folklore indigène, le « laïcisent » en lui ôtant son caractère fondamentalement religieux et en le vidant ainsi de son contenu.

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