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La transfiguration ou l'homme révélé à lui-même


Dans l’Evangile de ce dimanche, sur la montagne, Jésus apparaît à ses disciples dans une lumière jusque-là inconnue d’eux ; il est transfiguré. Et dans ce visage de lumière nous est révélé, comme par anticipation, quelque chose de la résurrection à venir. Entre nous, c’est quand même le plus grand spoil de l’histoire ! Avant même la montée à Jérusalem, la passion et la mort sur la croix, Jésus dévoile la fin de l’histoire. Et la fin de l’histoire, c’est la lumière ! Bien avant la fin du carême, alors que nous sommes encore au coeur de la nuit, nous est déjà révélée l’issue lumineuse de Pâques. Spoil ! Franchement, c’est pas du jeu. Il y aurait de quoi exiger d'être remboursés ! En même temps, nous n’avons rien payé… ah oui, c’est vrai…

Mais ce que les disciples découvrent dans cette transfiguration, ce n’est pas seulement la fin de l’histoire de Jésus, c’est aussi l’issue de leur propre histoire d'hommes. Ce n’est pas seulement l’identité du Fils de Dieu qui leur est dévoilée, c’est aussi leur propre identité, comme une révélation de ce qu’est l’homme ou du moins de ce qu’il est appelé à devenir. Sur le visage de Jésus, les disciples découvrent ce qu'il en est de leur vocation d'hommes. Car Jésus ne nous a pas seulement révélé qui est Dieu, il nous a plus admirablement encore révélé qui est l’homme. C’est notre identité profonde d’enfants de Dieu qui est dévoilée à travers toute l’existence de Jésus et dans son visage transfiguré. Notre identité, dans le plan de Dieu, est lumineuse !

Jésus est transfiguré : il est comme « transparent » à la lumière de Dieu. Il laisse passer le jour. Son humanité devient le réceptacle de l’amour et de la gloire de Dieu. Et c’est précisément en cela qu’il est vraiment homme, aussi étrange que cela puisse paraître. Car nous avons souvent (toujours…) bien du mal à percevoir comment peuvent cohabiter l’humain et le divin en la personne de Jésus. Nous pensons spontanément que plus il se montre humain moins il est divin, et inversement. Comme si en lui, une nature devait chasser l’autre. Et du coup, nous reportons la difficulté sur nous-mêmes Nous nous disons : « Plus je laisse de place à Dieu dans ma vie, moins je vais exister. Plus j’accomplis ma volonté propre, moins je vais suivre la volonté de Dieu ». Dieu est alors perçu comme un concurrent et non plus comme un partenaire. Devant lui je ne peux que m’écraser ou me rebeller.

Pour sortir de ce conflit d’intérêts, de cet affrontement, il faut opérer une véritable conversion intérieure : celle de l'Evangile. Car c’est dans la personne de Jésus que ce conflit est dépassé, que l’humain et le divin trouvent leur juste accord, que se réalise pleinement l’Alliance éternelle. Plus Jésus est Dieu, plus il se montre homme ; plus il se manifeste en son humanité, plus se révèle sa divinité. Jésus transfiguré c’est Jésus pleinement Dieu et pleinement homme. Pleinement homme parce que pleinement Dieu.

Il en est certainement de même pour chacun de nous : notre vocation est d’être transfigurés, c’est à dire de rayonner de la lumière de Dieu, de nous laisser traverser par ce jour qui vient de plus loin que nous. Et c’est précisément en cela, c’est dans la mesure où nous devenons réellement « transparent » à la lumière de Dieu que nous devenons réellement nous-mêmes, que nous devenons pleinement humains et pleinement unique. Car cette transparence ne signifie en rien une dilution ou une disparition de notre personne mais au contraire son accomplissement dans sa singularité la plus unique. C’est bien là ce qu’opère en nous la grâce de Dieu : « la grâce ne détruit pas la nature mais la parfait ».

Si nous ne cherchons qu’à manifester nous-mêmes, à briller de nos propres éclats, si nous continuons à n’être le reflet que de notre petit égo sûr d’exister par lui-même et à nous recroqueviller sur nos revendications possessives, nous apparaîtrons bien peu lumineux, nous ne laisserons passer que peu de jour. Pire encore, nous n’éclairerons personne, tout accaparés au contraire à attirer sur nous la lumière des projecteurs. Nous devons réellement abdiquer face à cette tentative ridicule et vouée à l’échec d’exister par nous-mêmes pour enfin consentir à laisser briller à travers nous la lumière de Dieu, à devenir réellement fils et filles de Dieu. Que passe à travers nous le jour de Dieu !

Nous portons tous en nous cette lumière divine. Elle est souvent bien enfouie, captive dans les replis de nos histoires blessées. Mais il ne tient qu’à nous de nous laisser traverser par cette clarté, de nous laisser transfigurer. Au fond, la sainteté ce n’est que cela : laisser Dieu être Dieu en moi.

« Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » Galates 2,20

Photo : novembre 2016, l'orage monte au dessus de San Ignacio de Moxos

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