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Samedi Saint ou la joie de croire dans la nuit


En ce samedi saint, ce jour unique de notre année liturgique, nous sommes conduits au cœur ardent de notre foi. Dans toutes nos églises, le tabernacle reste ouvert et vide… Le tombeau est fermé et Jésus n’est plus au milieu de ses disciples. Comme il est étrange que notre Eglise nous invite chaque année à nous remettre devant ce « vide », à nous dégager de toute certitude ! C’est que notre liturgie séculaire, dans sa sagesse et son amour de la vérité, sait bien qu’il s’agit là du foyer le plus ardent de notre foi. L’Eglise n’a pas pour mission d’asséner des certitudes ; elle cherche à faire vivre une expérience, l’expérience de la foi en Jésus ressuscité. Ce jour du vide, de l’absence, du silence, nous devons le vivre pleinement, l’accueillir au plus intime de notre être. Il n’est pas de jour nouveau pour celui qui n’a pas traversé la nuit. Il n’est pas de foi véritable pour celui qui n’a jamais affronté le doute et la peur. La foi, ce n’est pas le contraire du doute ; la foi, c’est le doute traversé. La vie ce n’est pas le contraire de la mort ; la vie, c’est la mort traversée.

Dans le long processus de germination qui s’accomplit au secret de la terre, il arrive un moment où le grain meurt et où rien ne laisse supposer qu’une vie soit encore possible ; un moment où en découvrant le grain desséché, nous pouvons légitimement penser qu’il n’est plus que poussière. Ce jour où nous sommes devant le tabernacle vide nous conduit au cœur brûlant de notre foi en Jésus ressuscité. Il faut mourir pour vivre ! Jésus n’a pas fait semblant de mourir. « Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt il porte beaucoup de fruit ». Mourir, c’est nous abandonner à ce que nous ne voyons pas encore. Tant que nous gardons par devers nous quelques sécurités matérielles, tant que nous ménageons nos issues de secours au cas où l’affaire tournerait mal, nos plans B pour échapper à ce que nous n’avons pas prévu, alors nous ne sommes pas encore réellement à la suite de Jésus. C’est devant le tabernacle vide, aujourd’hui, que nous pouvons nous risquer pleinement à le suivre sans autre garantie que sa Parole : « Suis-moi ! ».

Les disciples dans la barque, au cœur de la tempête, n’avaient reçu que ces mots de Jésus : « Passons sur l’autre rive ». Mais aucun d’eux ne pouvait s’appuyer sur une information précise concernant l’issue de cette aventure, aucune garantie sur laquelle compter, aucun bulletin météo rassurant. Au milieu de la tempête, c’est leur doute qu’ils affrontent et leur peur qui les submerge ; ils ne savent pas comment cela va finir. Au milieu du tunnel lorsque la lueur de l’entrée a déjà disparu et qu’aucune lumière encore ne pointe de la sortie vers laquelle nous tendons, nous ne pouvons faire autre chose que de continuer à marcher, à tâtons, dans l’obscurité. C’est alors que nous croyons ! C’est comme s’il nous fallait passer par là, par ce point obscur ; comme si Jésus voulait nous faire traverser ce lieu ténébreux du sentiment d’abandon, de la perte de toute assurance ; comme si cette traversée était la condition même de notre renaissance, de la victoire de la vie et de l’accueil de sa présence ; comme si c’était ainsi que Jésus voulait dégager nos cœurs de nos fausses assurances, pour nous rendre enfin disponibles à son Esprit. Tout point d’appui qui n’est pas de Dieu n’est qu’illusion.

Nous sommes aujourd’hui dans le cœur ardent de notre foi. C’est aujourd’hui que nous pouvons croire ; aujourd’hui que nous marchons debout dans la nuit. Et pour nous tenir debout en ce lieu, nous pouvons nous tourner vers Marie. Elle est la seule qui demeure dans l’espérance en ce jour de ténèbres. Marie ne sait pas comment cela va se faire mais elle sait que cela va se faire. Devant le grain mort et desséché, sans savoir comment, est sait que la vie va surgir et elle se tient là, debout, douloureuse mais croyante, confiante, disponible. C’est à elle qu’il faut nous confier aujourd’hui, c’est à elle que nous devons chercher à ressembler. Car comme Marie, nous sommes appelés nous aussi à enfanter Dieu ; cette maternité divine nous est offerte dès lors que nous laissons le Christ naître et vivre en nous, dès lors que nous le laissons devenir la Vie de notre vie.

Alors la fête de la résurrection ne sera pas une sorte d’Happy End d’un scénario qui nous a fait bien fait peur mais qui, fort heureusement, se termine bien... Non ! La lumière de Pâques n’est pas une Happy End mais l’issue d’une traversée qui a été jusqu’au bout d’elle-même, d’une mort pleinement accueillie, d’une nuit qui ne fut pas virtuelle. En ce jour, tournons-nous vers Marie pour qu'elle "réveille en nous la joie de croire dans la nuit".

Depuis l’abbaye de Tamié, dans les montagnes de Savoie, où je vis ces jours saints, en priant pour tous ceux et celles qui doutent, qui cherchent et qui ont peur, je vous partage cette hymne mariale brûlante de foi et d’espérance que nous chantons ces jours-ci à l’office :

Vierge attentive à la Parole Qui modèle ta vie, Depuis le jour de cet appel Qui ébranla ton cœur, Accueille en ton silence Comme un don de l’Esprit Tous les enfants de Dieu Qui errent dans la nuit.

Tu as compris que la Parole De lumière et de vie Serait un glaive incandescent Qui brûlerait nos cœurs; Apaise notre angoisse Quand le feu de l’Esprit Vient libérer l’amour Des ombres de la nuit.

Vierge imprégnée de la Parole Qui éclaire nos vies, Tu sais quel doute et quel péché Peuvent saisir les cœurs; Sois proche de tout homme Qui désire l’Esprit, Réveille en nous la joie De croire dans la nuit.

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