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Ça ne se raconte pas


Et je me suis arrêté d’écrire… Depuis le samedi Saint, très exactement, je n’ai plus rien publié sur ce blog. C’est un peu comme si j’étais resté-là, devant le tombeau fermé. Comme si ce jour de l’attente, ce jour de l’absence s’était prolongé pour moi pendant tout le temps pascal. Un samedi saint XXL… Le temps suspendu... Pourtant depuis quelques semaines, par email, par téléphone ou en direct ici à Taizé, plusieurs d'entre vous me demandent d’écrire le récit de cette année sabbatique qui s’achève. Et me voilà devant mon écran d’ordinateur, aussi sec qu’un fagot de sarments. En panne d’inspiration… L’angoisse de la copie blanche… Les étudiants en période de partiels comprendront.

J’ai beaucoup cherché, j’ai tourné le « sujet » dans tous les sens pour trouver une porte d’entrée : mais par où donc commencer le récit ? Comment rendre compte de ce grand sabbat ? Et après plusieurs jours je dois me rendre à l’évidence : si je ne parviens pas à en commencer le récit, c’est tout simplement parce que ça ne se raconte pas ! L’aventure intérieure, ça ne se raconte pas… D’ailleurs, pour être tout à fait sincère, ce chemin sabbatique n’a pas débuté en septembre dernier mais un an plus tôt, lorsque sortant de bon matin de l’église Notre Dame, à Bordeaux, j’ai pris la direction de Saint Jacques de Compostelle. C’était très exactement le 21 septembre 2015. Le premier jour de l’automne. J’ai le sentiment profond que ce long chemin sabbatique s’achève ici et maintenant, dans le printemps de la Pentecôte, à Taizé. Oui, ce chemin fut bien plus long qu’il n’y paraît et je crois qu’il est illusoire de prétendre en faire le récit.

Je pourrais alors simplement évoquer une image qui me vient à l’esprit : celle de la parabole de la vigne dont nous avons entendu la lecture pendant le temps pascal et qui habite ma prière depuis plusieurs semaines : « Tout sarment qui porte du fruit, mon Père l’émonde pour qu’il en porte davantage » (Jn 15,2). Ceux qui ont déjà travaillé dans la vigne savent ce qu’il y a de brutal, de violent même dans la taille du sarment. A coups de sécateur ! Cette image est rude. Elle est pourtant choisie par Jésus pour évoquer le sort de ceux qui prétendent être ses disciples. Il faut couper, tailler dans le vif. Enlever les branches inutiles. Ne laisser que l’essentiel. Afin que la force vive de la sève ne se perde pas en des ramifications secondaires, celles qui ne donnent pas de fruit. Il faut tailler pour ne garder que l’essentiel. Cette image est violente ; c’est pourtant par amour que Dieu entreprend en nous cet émondage afin de nous rendre plus pauvres. Plus légers. Plus libres aussi. L’amour de Dieu peut se montrer rude parfois parce qu’il est absolu, sans concession, exigeant et qu’il ne peut se satisfaire d’un travail à moitié fait, d'un chemin qui n'irait pas jusqu'au bout. L’amour de Dieu est parfois dur parce qu’il est brûlant, parce qu’il nous transforme en profondeur. Toute transformation est douloureuse. Tout amour vrai est douloureux parce que tout amour vrai transforme en profondeur.

Cette image à travers sa rudesse exprime bien, je trouve, l’année que je viens de vivre. Lorsque nous prétendons nous conformer à la volonté de Dieu, lorsque nous cherchons à prendre son chemin, il faut s’attendre à ce qu’il nous saisisse à bras le corps et tranche dans le vif. Il nous émonde, nous purifie, nous débarrasse de ce qui pourrait nous distraire de Lui ou nous détourner du chemin de l’Evangile. Sans doute ce travail de taille est-il nécessaire à diverses périodes de notre vie comme il l’est, chaque hiver, pour la vigne. Sans doute la vie spirituelle ne s'épanouit-elle en nous qu’à la mesure de cet appauvrissement auquel nous devons consentir.

Vous me direz : quelle image austère alors qu’on me demande de raconter mes aventures amazoniennes et mes escapades andines, les mois de vie fraternelle à Taizé et les heures de marche dans la campagne de Bourgogne ! Certes… Tout cela fut très beau. Mais voilà, ce n’est pas cela le plus important. Et le plus important ne se raconte pas. Sinon en image. Ce chemin sabbatique prendra fin dans quelques semaines et je serai de retour en Gironde puisque c’est là, semble-t-il, que le Seigneur m’appelle encore à le servir. Je rentre plus pauvre mais aussi plus léger, délesté de quelques branches inutiles.

Vous le savez sans doute, la parabole de la vigne s’achève sur ces mots de Jésus : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et pour que vous soyez comblés de joie » (Jn 15, 11). Plus que jamais, je crois que la joie est le dernier mot de la vie, la joie promise par Jésus. La vraie joie dont parle Jésus, c'est la joie qui a traversé la passion et la mort, la joie nue, dépouillée des faux oripeaux, la joie qui n'a pas plus peur, pas même de la mort. "Je vous reverrai et votre coeur se réjouira ; et cette joie, nul ne vous la ravira" (Jn 16, 22). Le pape Benoît XVI parla un jour des prêtres comme des « serviteurs de la joie ». C’est ce beau service que je voudrais continuer avec ceux que je rejoindrai dans le secteur pastoral des Jalles à partir de septembre. Serviteur de cette joie que Dieu donne, cette joie plus grande, cette joie plus libre.

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