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Prêtres...


C'est en ouvrant ma boîte mail que je suis tombé sur cette nouvelle déchirante. Un drame de la vie, un drame pour l’Église. Jean Baptiste, jeune prêtre de 38 ans, s'est donné la mort. J'ai connu Jean Baptiste au séminaire, à Paris, il y a 17 ans. Il commençait sa formation, je terminais la mienne.

Qu'un homme se supprime, c'est toujours un drame effroyable. Je l'ai vécu d'assez près moi-même pour savoir que ces blessures jamais ne se referment. Mon frère de sang, il y a 16 ans, 9 mois et 11 jours… Il s'appelait Jean Baptiste, lui aussi… Le sort a parfois de sinistres clins d'oeil. Le vide qui reste et se creuse au coeur de ceux qui restent ! Le vide...

Mais quand cet homme est prêtre, tout le monde chancelle. Un peu comme si l'on touchait à un mur porteur. Dans la vie de beaucoup, c'est tout l'édifice qui menace ruine et le vertige nous prend devant l'abîme qui s'ouvre sous nos pieds. Que celui dont la mission est de porter le souci des autres, dont toute la vie est de les rejoindre dans leurs peines, de leur annoncer l'espérance, de les aider à retrouver le courage de vivre ; que celui-là ne trouve plus d'autre issue que ce geste définitif, cela nous plonge dans un désarroi profond. Quelle que soit la raison de son geste, je peux imaginer quels combats intérieurs il a dû affronter… La mort tragique de ce frère vient nous rappeler, au cas où nous l'aurions oublié, qu'un prêtre n'est épargné d'aucun des combats qui traversent la vie de tout homme.

Sidéré par ce mail sur mon écran d'ordinateur, je prie pour sa famille, ses proches, ses paroissiens… C'est en pensant à leur douleur que ce soir, je ressens le besoin de dire et d'écrire pourquoi je suis prêtre. Pourquoi je le suis encore. Pourquoi je le suis resté malgré les tempêtes de la vie. Malgré la rudesse du célibat, la solitude et tout le reste... Oui bien sûr... Pourquoi cette vie tellement hors du commun, cette vie de prêtre qui nous place dans une grande fragilité – pourvu du moins que l'on consente à ne pas se barricader derrière notre suffisance - pourquoi cette vie est belle, intense, exposée, immense !

Cette semaine encore, l'esprit tout envahi du souvenir de Jean Baptiste et de son geste fou, cette semaine encore je continue de visiter des familles en deuil, de préparer des baptêmes, d'entendre les confessions de vies ordinaires d'hommes et de femmes qui aiment, qui souffrent, qui jubilent et qui tombent parfois. Chaque jour je côtoie le péché et la grâce, la misère et le sublime qui se tissent dans toute vie. Chaque jour de cette semaine encore, j'ai continué de pleurer avec ceux qui pleurent et d'être dans la joie avec ceux qui sont dans la joie. C'est ça la vie de prêtre ! La vie ordinaire d'un prêtre, c'est de partager le plus intense de toute vie. Le meilleur comme le pire. Et cela nous rend vulnérables…

Aujourd'hui encore, j'ai élevé l'hostie et le calice au nom du peuple de Dieu et pour le salut du monde entier. Parce que dans ce geste, ce simple geste d'homme, je crois que toute vie trouve son sens et sa lumière. Aujourd'hui encore, en accomplissant les paroles et les gestes de Jésus, j'ai manifesté Jésus présent pour quelques fidèles un peu endormis et clairsemés dans une grande église. C'est ça la vie de prêtre ! Parce qu'un jour Jésus l'a promis à ses disciples : « moi je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde ». Et parce qu'il a confié aux prêtres la mission d'accomplir cette promesse, de l'incarner, de la rendre vivante.

Je sais… Je sais bien que, ces derniers temps, les scandales de pédophilie à répétition n'ont cessé de nous éclabousser le visage. Nous portons, comme une honte au front, le péché de ces frères prêtres qui, de pasteurs qu'ils étaient, se sont transformés en prédateurs vis à vis des plus fragiles. Si les premières victimes de ces crimes sont évidemment les enfants abusés par ces hommes, ainsi que leurs familles et leurs proches, nous venons, nous autres prêtres ordinaires, juste après dans la longue cohorte des victimes. Victimes indirectes de ses hommes dont nous avons honte et qui pourtant sont nos frères. Victimes parce que suspectés par la rumeur populaire de la pire des perversions… A-t-on suffisamment mesuré le drame que représente pour un prêtre, la peur d'oser le moindre geste de tendresse par crainte d'être assimilé à cette horreur ? Qu'adviendra t-il de nous si nous devons nous priver de toute affection par peur de l'amalgame ? Une vie sans tendresse, est-ce encore la vie ?

Et malgré tout cela, nous continuons ; nous nous entêtons dans cette mission que nous avons reçue un jour, cette mission trop grande pour nous, un peu comme un costume trop large sur nos épaules frêles. La mission de porter Jésus au coeur du monde, de faire brûler son feu aux creux des souffrances des hommes, de porter sa joie au coeur de toute vie. Je suis prêtre et je le suis resté malgré les tempêtes de la vie parce cette mission est si grande, si belle, si noble que malgré toute mon indignité, jamais je n'ai pu la déserter. Et jamais je ne le pourrai. Dieu me tient là, en ce lieu, en cette place, si belle et si douloureuse parfois.

Ce soir je pleure. Je pleure Jean Baptiste et tous ceux que ce drame fait chanceler. Et ce soir, plus que jamais, je veux redire que je suis prêtre pour tous ceux-là, prêtre de Jésus-Christ ; et redire que cette vie-là est belle. Prêtre pour manifester la présence aimante de Celui qui, pour nous, a donné sa vie. Prêtre pour manifester la présence aimante de l'ami extrême, l'ami qui ne s'enfuit pas lorsque vient le péril. Témoin de l'ami qui reste. Jusqu'au bout. Je suis prêtre, meurtri par tant de violence mais animé de cette espérance qui résiste toujours : si Jésus est mort sur une croix, comme un paria, c'est pour que jamais aucun homme ne puisse croire que Dieu se tient loin de lui lorsqu'il traverse l'épreuve et la souffrance. Que jamais aucun homme, aucune femme ne puisse se croire abandonné de Dieu, même à l'heure ultime...

Je suis prêtre parce que Jésus est vivant !

« Et moi je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde » Mt 28,20


20 septembre 2018



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