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Habiter notre maison intérieure


Aujourd'hui (Marc 7,1-23), Jésus nous parle de notre intériorité, de notre maison intérieure. De la manière dont nous habitons notre maison intérieure. Ce lieu que nous connaissons si mal… Aujourd'hui Jésus veut nous aider à habiter notre espace intérieur. Et il s'agit peut-être là d'un des plus grands défis de notre vie : habiter notre maison intérieure.

Dans ce récit deux logiques s'affrontent. D'un côté, il y a les pharisiens. Selon leur logique, il faudrait établir une séparation entre nous et le mal, entre nous et l'impur, entre nous et tout ce qui pourrait nous pervertir. Les pharisiens tracent une limite, une frontière entre eux et le mal qui est, selon eux, toujours extérieur. Selon cette logique, le mal c'est toujours l'autre et le combat contre le mal est toujours un combat vers l’extérieur. Cette logique est violente et elle conduit à toutes les atrocités dont nous sommes si souvent les spectateurs impuissants.

Mais il y a une autre logique, celle de Jésus, totalement opposée à celle des pharisiens. En quelque sorte, Jésus dit à ces hommes : « Tant que vous vous concentrez sur une lutte entre vous et l'extérieur, vous vous trompez de combat. Et vous fuyez le seul vrai combat ». Car le seul combat qui mérite d'être mené est à l'intérieur de l'homme.

D'ailleurs, nous le savons bien : chaque acte de violence, chaque insulte, chaque guerre est une preuve de faiblesse, un aveu d'impuissance. Lorsqu'une personne frappe ou fait violence à l'autre, elle entend montrer sa puissance, sa force et dominer ainsi son ennemi. En réalité, elle ne fait que dévoiler sa faiblesse. Car toute violence, toute guerre est un manque de courage, une dérobade, une fuite devant le seul vrai combat. Nous ne faisons que transposer vers les autres le combat que nous ne voulons pas mener en nous-mêmes, par manque de courage. Car il en faut du courage pour consentir à ce combat intérieur, ce combat contre ma propre violence, contre mon désir de vengeance, contre ma convoitise, contre ma soif de domination. Si seulement nous pouvions avoir cette force, cette sagesse ; si seulement nous avions le courage de mener ce combat en nous-mêmes ! Le seul vrai combat est intérieur.

Et si dans l'Évangile de ce jour, Jésus nous dit que c'est du dedans de l'homme que viennent les pensées perverses, inconduites, vols, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et j'en passe… ce n'est pas pour nous accabler. C'est pour nous indiquer le lieu du vrai combat. Bien souvent, nous projetons sur les autres, sur l'extérieur, le combat que nous refusons de mener en nous-mêmes par manque de courage.

Comment vais-je habiter ma maison intérieure ? Maurice ZUNDEL écrivait : « Il est plus facile de construire une cathédrale que d'édifier en nous l'être intérieur ». Quand on sait qu'il a fallu parfois plus d'un siècle pour construire nos grandes cathédrales gothiques, nous pouvons entrevoir l'ampleur de la tâche ! Construire cet espace intérieur et l'habiter. Nos églises de pierres, nous le savons bien, ne sont que des images de ce que nous avons à devenir nous-mêmes : un espace hospitalier pour Dieu et pour les autres. Cet espace est en nous.

Dans le psaume tout à l'heure nous chantions : « Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? ». Mais depuis que Jésus est venu, nous savons que nous pouvons comprendre autrement cette question. « Qui séjournera dans la maison de Dieu ? », cela revient à dire : « Qui habitera sa maison intérieure ? ». La maison de Dieu c'est notre cœur et c'est ce cœur qu'il s'agit d'habiter.

Si nous n'apprenons pas à habiter notre maison intérieure, alors nous ne faisons que brasser de l'air. Alors toutes nos gesticulations extérieures, nos pratiques cultuelles et même nos bonnes actions, ne sont que des tentatives désespérées pour fuir le vide intérieur qui nous fait si peur. C'est exactement ce que Jésus répond aux pharisiens qui reprochaient à ses disciples de ne pas respecter la tradition des anciens.

En revanche, chez les personnes qui ont appris à habiter leur maison intérieure, qui ont mené en eux ce combat, alors toute parole prononcée, tout acte posé a une autre profondeur, une autre vérité. Et ces personnes ont aussi une autre qualité : en leur compagnie, on se sent bien, on se sent accueillis, on se sent chez soi. Elles sont comme ces églises hospitalières et paisibles. C'est qu'elles ont développé en elles cet espace intérieur, cette capacité à intérioriser tous leurs combats. Elles ont fait de la place en elles.

Plus j'avance en âge, plus je suis habité par une conviction profonde : dans la vie, il n'est pas une épreuve, pas un obstacle, pas une difficulté qui ne trouve sa solution à l'intérieur de nous. Nous cherchons toujours les solutions à l'extérieur et nous délaissons notre capacité à intérioriser et dépasser ainsi l'obstacle. Prenons un exemple : la maladie. Bien évidemment, lorsque je suis malade, la compétence du médecin, qui est extérieur donc, est indispensable ; mais au fond, la maladie qui d'ailleurs peut être incurable, ne sera réellement vaincue que dans ma capacité à retrouver la paix, la sérénité, au cœur même de la maladie. L'ultime réponse est toujours intérieure.

Et s'il faut aller jusqu'au bout de ce raisonnement, alors il faudrait même reconnaître que l'épreuve des épreuves, l'obstacle des obstacles, celui que nous rencontrerons tous un jour sur notre chemin - je veux parler de la mort elle-même - cette ultime épreuve ne trouve sa solution qu'à l'intérieur de nous et non à l'extérieur. Aujourd'hui l’idéologie qui sous-tend le transhumanisme vise d'une certaine manière à vaincre la mort en développant des techniques permettant de rester en vie le plus longtemps possible. Comme si vivre consistait seulement à rester en vie… Ces tentatives dérisoires ne répondent en rien à la question de la mort, elles ne peuvent en aucun cas vaincre la mort ; elles peuvent tout au plus me promettre de vivre plus longtemps mais sans me donner aucune raison de vivre ! La survie sans le sens de la vie est peut-être la pire torture que l'on puisse imaginer.

Le combat pour vaincre la mort ne se trouve pas dans une lutte extérieure mais intérieure. Si Jésus a vaincu la mort, c'est par l'Esprit Saint qu'il l'a vaincue. Et c'est par son Esprit accueilli au creux de notre être que nous aussi, nous pouvons être, dès aujourd'hui, vainqueurs de la mort. Habiter ma maison intérieure, y rencontrer Dieu, cet hôte immense de nos solitudes, savoir y faire de l’espace. Habiter ma maison intérieure et y faire hospitalité à mes frères et sœurs, voilà sans doute l'un des plus grands défis de la vie qui me soit donné. Ne nous trompons pas de combat !


2 septembre 2018



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