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Boiteux mais vivants !


Dans l’Evangile de ce dimanche, des mots prononcés par Jésus heurtent nos oreilles :

« Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller avec tes deux pieds dans la géhenne »

Comment comprendre la violence de ces mots ?

Un souvenir remonte à ma mémoire. C’était il y a trois ans presque jour pour jour. J’étais parti à pied depuis Bordeaux vers Saint Jacques de Compostelle. Cela faisait une dizaine de jour que je marchais et j’étais rendu dans le Pays Basque. Ce jour-là, la marche avait été particulièrement éprouvante et j’étais arrivé à l’étape en boitant. Un début de tendinite… la hantise du marcheur… Devant le refuge, une vieille dame était assise sur un banc. En me voyant arriver d’un pas claudiquant, elle m’a salué puis m’a lancé ces mots :

« Mieux vaut boiter sur le bon chemin que de courir sur une mauvaise route »

Je n’ai pas oublié cette parole de sagesse. Pour moi, elle illustre si bien les mots de Jésus ! La vie est un combat qui ne nous laisse pas indemne. Par ces mots, Jésus vient nous dire que la lutte contre le mal est vraiment un enjeu de première importance. Que ce combat n’est pas une question accessoire. C’est une question de vie ou de mort ! Peut-être même faut-il aller plus loin et dire : c’est lorsque nous sommes un peu boiteux, un peu manchots, un peu borgnes que nous sommes sur le bon chemin, que nous sommes plus en vérité devant nous-mêmes, devant Dieu, devant nos frères.

Une autre histoire, bien plus édifiante, raconte cela. C’est celle de Jacob dans le livre de la Genèse au chapitre 32. Jacob s’est brouillé à mort avec son frère Esaü. Il a même dû fuir dans un pays lointain car son frère Esaü veut le tuer. Des années plus tard, Jacob revient vers son frère, il veut se réconcilier. Sur le chemin du retour, il va vivre un événement étrange, une nuit en traversant le torrent du Yaboq. La Bible nous raconte que Jacob va devoir lutter toute une nuit contre… Contre qui ? On ne sait pas trop. Contre un ange ? Un inconnu ? Contre Dieu ? A moins que ce soit contre lui-même… Jacob sortira vainqueur de ce combat. Vainqueur mais blessé à la hanche. Il restera boiteux pour le restant de ses jours.

Cette blessure dans sa chair est le signe qu’il est prêt à se réconcilier avec son frère. Il s’est laissé touché, il s’est laissé atteindre. Il a vaincu en lui ce mal, cette fermeture du cœur. Il est blessé, boiteux et ne peut donc plus se présenter à son frère dans une position de toute-puissance. Devant son frère il sera vulnérable.

« Mieux vaut boiter sur le mon chemin que courir sur la mauvaise route »

Nous sommes tellement plus en vérité les uns devant les autres lorsque nous ne sommes plus dans l'illusion de la toute-puissance, lorsque nous acceptons d’apparaître avec nos blessures, avec nos manques, avec nos failles. En un mot, vulnérables. Mais pour cela, il nous faut mener un combat ; il nous faut vaincre le mal en nous, vaincre cette position de toute-puissance derrière laquelle nous cherchons sans cesse à nous cacher, vaincre ce réflexe de domination qui nous habite toujours, vaincre ce mal qui nous enferme dans une caricature de nous-mêmes. Ce mal en nous, nous empêche littéralement de vivre. Il faudrait même dire qu’il nous entraîne vers la mort. Car l’illusion de la toute-puissance conduit toujours à la mort. Ce qui conduit vers la vie, c’est au contraire la découverte de n’être pas tout. C’est seulement lorsque je découvre que je ne suis pas tout puissant, que je ne me suffis pas à moi-même, lorsque je consens à être vulnérable, c’est alors que je peux commencer à aimer, et donc à vivre vraiment.

« Mieux vaut boiter sur le bon chemin que de courir sur une mauvaise route ». Au fait, c’est quoi le bon chemin ? C'est celui que Dieu veut pour nous. Dieu nous veut pleinement vivants. Même si pour cela, il nous faut devenir boiteux... Le bon chemin, c’est celui par lequel nous quittons notre suffisance, lorsque nous apparaissons plus vulnérables, un peu plus boiteux certes mais tellement plus vivants !


30 septembre 2018



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