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Cette maison n'est pas de pierre seulement


Comme vous tous, j'ai suivi avec effroi l'incendie qui a ravagé la cathédrale Notre Dame de Paris hier soir. La douleur de voir partir en feu ce joyau de notre histoire est indescriptible.

Et pourtant ce matin, devant l'image de la voûte effondrée dans un amas de cendres encore fumantes, ce sont des mots d'espérance qui me viennent à l'esprit. Car l’Église, la véritable Eglise dont toutes nos églises et cathédrales sont le symbole, c'est le peuple de Dieu uni dans la foi ; ce peuple qui chantait, pleurait et priait hier soir dans les rues de Paris. Cette maison n'est pas seulement de pierre, elle est de coeurs et de chair. Nous sommes les pierres vivantes de l’Église. Notre trésor commun est intact, il n'a pas disparu dans les flammes car ce trésor est en nos coeurs.

Bien sûr, c'est un symbole immense qui s'est effondré hier soir. Mais nous le savons bien, la vertu de tout symbole est de renvoyer à autre chose que lui-même, d'être signe d'une autre réalité. En cela, les larmes des spectateurs impuissants dans les rues de Paris cette nuit étaient tout aussi impressionnantes que les flammes dévorant la flèche de Notre Dame. Que se joue t-il dans le coeur de l'homme lorsqu'un symbole de sa foi est touché, lorsque s'effondre ce sur quoi il s'appuyait ? Quand s'écroule un symbole, nous nous retrouvons désemparés, comme à nu. Dès lors, nous pouvons ou bien considérer que nous sommes engloutis en même temps que le symbole qui nous représentait, ou bien au contraire être conduit à un approfondissement de ce que nous sommes et de ce que nous croyons. Toute épreuve peut devenir l'occasion d'un renouveau.

Dans son histoire, le peuple de Dieu est passé par de telles épreuves ; il a connu l'effondrement de tous ses points d'appui. Six siècles avant Jésus Christ, le peuple hébreu fut vaincu et déporté à Babylone et son temple fut totalement détruit. Or c'est précisément dans ce moment le plus sombre de son histoire, que la foi d'Israël va connaître un renouveau inédit. Lorsque tous ses appuis s'effondrent, lorsque ce qui faisait sa sécurité vacille, le coeur de l'homme est comme mis à nu et il doit chercher, plus profondément en lui, le socle plus solide sur lequel il pourra prendre appui. Et si le drame d'hier soir pouvait nous conduire à pareil cheminement intérieur ? Dans l'Evangile, Jésus prononce des paroles terribles à l'endroit du temple de Jérusalem : « ce que vous contemplez, il n'en restera pas pierre sur pierre, tout sera détruit » (Luc 21,6). C'est cette question qui nous est renvoyée douloureusement aujourd'hui : sur quoi repose notre foi et que restera t-il de nous lorsque tout se sera effondré ?

Je suis très attaché aux symboles ; nous sommes des êtres de chairs et non de purs esprits et nous avons besoin de signes concrets pour exprimer le sens de nos vies d'hommes et de femmes, pour dire l'indicible, pour vivre et pour aimer. Fort heureusement, la cathédrale Notre Dame ne s'est pas effondrée totalement et nous pouvons espérer de tout coeur qu'elle sera rebâtie. Mais il ne faudrait pas que cette reconstruction nous fasse manquer le véritable enjeu : l’Église, c'est en nos coeurs qu'il faut la reconstruire. Il ne faudrait pas éluder la vraie question : sur quoi repose notre foi ? Sur qui ? Je ne peux pas manquer de faire le lien avec la crise extrêmement grave que traverse l’Église depuis quelques mois et qui nous bouleverse profondément. C'est lorsque son coeur est à nu, c'est lorsque sont remis en question ses appuis habituels et ses fausses sécurités, que l'homme est enfin placé devant la vérité ultime de sa vie et de sa foi. Au dernier jour, devant Dieu, nous serons dépouillés de tout. Sur quoi, sur qui pourrons-nous alors prendre appui si ce n'est sur notre Seigneur ? Pourrons-nous alors lui dire : « Toi seul es mon appui, ma forteresse » ?

Sous la voûte éventrée de la cathédrale, au milieu des décombres, ne subsiste que la croix, nue, lumineuse, silencieuse. Et en retrait, dans l'ombre, presque invisible sauf pour ceux qui la savent présente, précisément à cette place, la Vierge Marie. Intacte. Comme toujours, au pied de la croix. Elle semble nous appeler à vivre jusqu'au bout le dépouillement de la foi.

C'est à ce cheminement intérieur que nous convoque la Semaine Sainte. Ces jours-ci, nous sommes invités à suivre Jésus sur le chemin de sa passion. Devant la croix du Golgotha, nous perdons nos appuis habituels, tout ce qui n'était que fausse sécurité. Ne demeure que la croix, preuve ultime de l'amour nu et infini de Dieu pour nous : notre seul trésor, notre seul appui. Il faut avoir consenti à ce dépouillement pour rencontrer le ressuscité au matin de Pâques ; il faut mourir pour vivre ; il faut accepter de tout perdre pour recevoir l'unique bien et traverser la nuit pour accueillir l'aurore nouvelle.

« Même si les montagnes s'éloignaient, même si les collines chancelaient, mon amour ne s’écarterait pas de toi ». Isaïe 45,10

Pierre Alain Lejeune

16 avril 2019

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