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Dieu et César


Dans l’Évangile de ce dimanche (Mt 22,15-21), c’est un piège qui est tendu à Jésus par une coalition pour le moins surprenante : les pharisiens et les hérodiens sont les pires ennemis mais ils se mettent d’accord pour piéger Jésus. La réponse qu’ils obtiennent est devenue célèbre : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». On a souvent fait de ce verset une justification de la stricte séparation des pouvoirs temporel et spirituel : la politique serait du domaine public et la religion du domaine privé. Comme si notre foi en Jésus-Christ était un monde à part sans aucun lien avec la vie de ce monde. Comme s’il était interdit de parler publiquement et de s’engager au nom de sa foi. Or, nous autres chrétiens, nous croyons au « Verbe fait chair », Dieu fait homme : dès lors, rien de ce qui touche à l’homme n'est étranger à Dieu ; dès lors, il n’est pas de souffrance humaine qui ne puisse trouver écho dans le cœur des disciples du Christ ; dès lors le politique et le religieux sont toujours mêlés puisque c’est tout l’homme qui est concerné par l’un et par l’autre.

En revanche ce que Jésus dénonce par ces mots il me semble, c’est l’instrumentalisation de Dieu pour justifier nos choix politiques (nous faisons de Dieu un César) et pire encore, notre idolâtrie du politique (nous faisons de César un dieu). L’actualité internationale en est une cruelle illustration : le drame absolu qui ensanglante Israël et la Palestine depuis deux semaines semble n’avoir aucune limite. Car dès lors qu’une terre est revendiquée au nom de Dieu, dès lors que le rapport au territoire est « idolâtré » aucun dialogue, aucun compromis ne semble plus possible.

Les crimes commis par le Hamas contre des civils israéliens sont à dénoncer sans la moindre réserve. Mais comme l’écrit Mgr Jean Paul Vesco, évêque d’Alger : « La violence du Hamas est sans excuse mais elle n’est pas sans cause ». L’humiliation subie par les palestiniens depuis des décennies peut-elle engendrer autre chose que la violence ? Or, ces dernières années, qui s’est soucié des vexations continuelles, des exécutions sommaires, de la colonisation sauvage au mépris du droit international et des multiples résolutions de l’ONU jamais appliquées ?

Je suis abasourdi par la désinformation dont nous sommes l’objet ; désinformation qui va jusqu’à nous faire admettre comme un mal nécessaire la mort de milliers de civils innocents. Et pendant qu’ils se font joyeusement massacrer, nous dissertons sur les erreurs d’arbitrage d’un match de rugby… « Panem et circenses ! » : la société du divertissement est adroite pour nous endormir. Avons-nous donc perdu toute conscience morale ? Ou bien sommes-nous devenus à ce point cyniques que nous fermions les yeux devant tant d’injustice ?

En bonne théologie morale chrétienne, il est un principe fondateur : « La fin ne justifie pas les moyens ». Autrement dit, ce n’est pas parce que l’objectif visé est légitime que l’on peut faire n’importe quoi pour l’atteindre. La lutte contre le terrorisme - fin bonne en soi - ne justifie pas l'utilisation de n’importe quel moyen pour y parvenir et notamment l’extermination d’une population civile. Et encore faudrait-il prouver que la véritable intention du gouvernement Netanyahou est la lutte contre le Hamas. La réalité est beaucoup plus machiavélique qu’on ne le pense... Il est insupportable de voir des hommes, des femmes, des enfants se faire massacrer au nom de je ne sais quel droit de riposte ; ils sont en réalité le jouet de calculs politiques et de sombres stratégies.

Aujourd’hui les puissances occidentales adoptent une position presque unilatéralement pro-israélienne. Mais ne voyons-nous pas que nous faisons ainsi le lit du fanatisme religieux et de l’islamisme le plus extrême jusqu’en dans nos quartiers ? En effet, l’impunité dont jouit un État d’Israël violant continuellement le droit international ne fait que nourrir le sentiment d’injustice éprouvé par le monde musulman et contribue ainsi à renforcer le fondamentalisme. La violence naît toujours d’une humiliation subie… N’avons-nous donc retenu aucune leçon de l’histoire ? Alors bien sûr, nous pouvons garder le silence et continuer à considérer avec cynisme que ces milliers de morts sont un mal nécessaire mais l’histoire nous jugera comme elle a déjà jugé les silences de nos anciens lors des heures sombres des siècles passés. Pouvons-nous raisonnablement soutenir sans nuance un État dont le ministre de la défense affirme traiter des populations civiles "comme des animaux" ? Nous devons avoir le courage de dénoncer le massacre des innocents, sans naïveté certes car rien n'est simple au Proche Orient, mais sans démission devant l'exigence de justice.

Dans l’Évangile de ce dimanche, il est une question à laquelle Jésus ne répond pas, comme un silence qu’il laisse à notre méditation. Car si nous comprenons ce qu'il faut rendre à César - puisque l’image de César figure sur la pièce de monnaie -, Jésus ne nous dit pas ce qu’il faudrait rendre à Dieu. Où est l’image de Dieu ? Qu’est-ce qui appartient à Dieu ? Depuis les premières pages de la Bible, nous le savons, l’homme a été « créé à l’image de Dieu ». C’est au fond du cœur de l’homme qu’est imprimée l’image indélébile de Dieu. Voilà ce qu’il nous faut crier haut et fort face à tous les violents qui bafouent la dignité humaine : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ! Rendez l’homme à Dieu ! ». Un jour, nous aurons à rendre des comptes et à répondre de nos actes : « Ce que avez fait au plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).


Pierre Alain Lejeune

Le 23 octobre 2023


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