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Déni de vie


« L’avortement est et restera toujours un drame ». Ces mots sont de Simone Veil s’adressant à l’Assemblée nationale en 1974. Mais comment est-on passé en 50 ans, d’un « drame » à une « liberté garantie » par la Constitution ? La majorité écrasante des parlementaires ayant voté pour cette réforme est en elle-même inquiétante : ce score digne d’une république soviétique traduit en réalité une absence totale de liberté d’opinion. Il est devenu impossible en France de questionner les enjeux éthiques de l’IVG à moins d’être ostracisé et classé parmi les infréquentables. D’ailleurs qui s’y risque encore hormis nos évêques et le pape François ?

La joyeuse unanimité affichée ces derniers jours comme une évidence et la grand-messe républicaine si bien orchestrée devraient nous alerter sur ce que cela tente si maladroitement de cacher : une terrifiante manipulation de l’opinion par une minorité bien-pensante. Il fut un temps où la France avait un message universel pour le monde : le pays des droits de l’homme défendait la valeur de toute vie humaine et la défense des peuples contre les pouvoirs totalitaires. Nous sommes tombés bien bas pour nous enorgueillir d’être les premiers à inscrire, dans leur Constitution, la suppression de la vie commençante comme une « valeur » et une liberté garantie…

L’avortement est un sujet sensible qui touche à l’intime et qui cache de très grandes blessures. Mais aurons-nous aidé les femmes qui ont eu recours un jour à un avortement simplement en décrétant qu’il n’y a pas de question ? Aurons-nous aidé toutes ces personnes simplement en affirmant que la vie humaine ne commence que lorsque nous le décidons ? Depuis 1975, la loi Veil n’a  cessé d’être modifiée, simplifiée, trahie. L’une des dernières falsifications eut lieu en 2014 lorsque le législateur décida de remplacer, dans la loi, la mention de « détresse » par celle « d’absence de volonté » de poursuivre une grossesse. Tout devient lisse : il n’y a plus de détresse puisque la loi le dit ! Comme s’il suffisait de décréter l’absence de détresse pour que tout soit arrangé. Ne voyons-nous pas l’odieux mensonge qui se cache derrière cette banalisation ? Ce qui concerne la sexualité et l’engendrement est toujours complexe et ne peut pas se limiter à la revendication d’un droit individuel. C’est cette complexité qui est niée aujourd’hui : il n’y a plus de question ! Il n’y a plus de problème ! Décréter cela est un déni de ce qu’est la vie humaine, un déni de ce que vivent les femmes dans leur maternité, charnellement, viscéralement, humainement.

Bien sûr, il est des situations tragiques dans lesquelles l’avortement est une option à envisager mais il faut alors le faire en connaissance de cause et non en refusant de regarder ce qui est en jeu : la vie. Or l’IVG qui était au départ envisagée comme une solution douloureuse pour accompagner au mieux un couple ne pouvant garder son enfant, est devenue aujourd’hui une « valeur de la République » brandie avec fierté… Mais comment est-on passé d’une exception à un principe indiscutable ? D’un drame à une valeur ?

Le mal est plus profond. Début janvier, le rapport de l’INSEE nous alertait sur la chute inédite du taux de natalité en France. Parallèlement, le nombre d’avortements pratiqués ne cesse d’augmenter. Nos gouvernants se sont saisis du dossier : comment relancer la natalité dans notre pays ? Et voilà qu’au même moment, ils sacralisent la liberté de supprimer des enfants à naître. Ce pays plein de contradictions ne voit donc pas que c’est l’élan vital propre à notre humanité qui semble s’être éteint en lui ? Nous avons peur de la vie, de ce qu’elle est vraiment. Nous construisons un monde mais qui ne serait que pour nous, pas pour les générations futures dont nous ne voulons plus. Nous voulons bien garder notre confort et notre prospérité mais pour nous, pas pour les générations à venir. Et nous faisons de cela une fierté ?!?

Autre hasard troublant de calendrier : lundi dernier, le jour-même où les parlementaires constitutionnalisaient l’IVG, le parquet de Melun annonçait le procès de Pierre Palmade pour « homicide involontaire » après l’accident de la route au cours duquel une femme enceinte a perdu l’enfant qu’elle portait. « Homicide involontaire » : le pouvoir judiciaire considère donc l’enfant à naître comme un être humain à part entière. Quelle est la différence entre le fœtus avorté et l’enfant à naître qui a perdu la vie dans un accident ? La différence pour nos députés, c’est que ce dernier faisait l’objet d’un « projet parental ». Un enfant à naître qui est voulu par ses parents pourra vivre ; celui qui ne fait pas l’objet d’un projet parental ne verra jamais le jour.

Ne voyons-nous pas vers quel monde terrifiant cela nous précipite ? Enfant désiré ou enfant non désiré… Seuls les premiers auraient le droit de vivre ? Et vous, dans quelle catégorie vous situez-vous ? La reconnaissance ou non du statut d’être humain dépendrait donc de la volonté des parents ? Mais jusqu’où irons-nous dans la sacralisation de l’individu tout-puissant revendiquant des droits au mépris du Bien Commun ? Au mépris de la vie ? « Mon corps, mon choix » : ne voit-on pas qu’avec des raccourcis aussi simplistes, nous précipitons un peu plus cette société vers un individualisme forcené ? Bientôt, nous n’aurons plus rien en commun, plus rien à nous dire, plus rien à vivre ensemble que la défense du pré carré de chacun.

Mais la vie, fort heureusement, est autre chose qu’un objet entre nos mains. Elle ne dépend pas de notre bon vouloir. La vie, de son commencement à sa fin, nous dépasse infiniment, nous surprend, nous bouscule, nous projette dans la complexité de ce qu’être homme ou femme veut dire. La vie est à la fois tragique et sublime et l’on s’y cogne souvent. C’est ce qui en fait la beauté, c’est ce qui fait de nous des humains. Il nous faut continuer à proclamer cette Bonne Nouvelle.


Pierre Alain Lejeune

8 mars 2024

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