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Hérode et l'enfant


Les saint innocents dont l’Église célèbre la mémoire en ce jour, sont les enfants de Bethléem que le roi Hérode fit tuer dans le but de supprimer ce « roi des juifs » dont il avait appris la naissance, ce concurrent redouté qu’il voyait en Jésus. Le massacre des innocents nous rappelle le drame d’un monde dominé par les violents. Il porte aussi nos regards vers toutes les victimes innocentes de la violence des hommes, à commencer par les enfants : enfants abandonnés, exploités, abusés. Des innocents continuent d'être massacrés, à Bethléem et ailleurs, broyés par la furie des hommes.

Mais cette tragédie racontée dans l’Évangile est aussi le reflet d’un autre combat, celui qui se vit en chacun de nous. Car l'histoire d’Hérode, l'histoire de ce roi jaloux de sa suprématie, de ce roi capable de supprimer tout ce qui compromet son pouvoir, c’est l’histoire de ce combat intérieur qui se joue en nous, entre l’homme ancien et l’homme nouveau, entre Hérode et l’enfant.

Le monde d’Hérode est en nous ; nous le connaissons bien ce despote intérieur, ce Moi jaloux et possessif qui n’a d’autre but que d’imposer sa domination ; cet ego envahissant dont nous avons hérité malgré nous depuis le commencement de notre vie et qui cherche toujours à imposer sa loi, à supprimer tout ce qui ne concourt pas à sa satisfaction. Car il ne connaît qu’une logique : la satisfaction de ses désirs, la satisfaction de lui-même. Selon cette logique, l’autre quel qu’il soit, est toujours perçu comme un concurrent contre lequel il faut se battre pour défendre son pré carré.

Le monde dans lequel nous vivons n’a de cesse de flatter cette part d’Hérode en nous ; de lui susurrer qu’elle a raison d’imposer ses caprices. La société de consommation a trouvé là son meilleur atout : en excitant cet égo dans ses revendications, elle créé une infinité de désirs à satisfaire. Cette société se nourrit de nos égos tout-puissants et insatiables. Mais il y a pire encore : car même des attitudes très pieuses et très religieuses peuvent en réalité n’être que des soubresauts d’Hérode ; même la religion peut être utilisée comme la projection de nos désirs narcissiques, de nos revendications égotiques. Sur Dieu aussi, sur Dieu surtout on peut projeter le pire…

Mais face à Hérode, il y a l’enfant ; cette petite part de nous, cette petite part de l’âme, fragile et silencieuse. Face au vieil homme Hérode qui ne peut que disparaître, il y a l’homme nouveau qui peu à peu advient : l’enfant nu et pauvre, l’enfant de Dieu que nous sommes appelés à devenir. Et l’enfant murmure à Hérode qu’il doit consentir à se défaire de lui-même, à se laisser déposséder, que c’est la seule issue, le seul chemin de vie. En chacun de nous, il y a cette petite voix de l’âme contre le vacarme assourdissant du Moi dominateur.

A vue humaine, le combat semble inégal et perdu d’avance : que peut un enfant contre une armée entière ? Hérode avec ses soldats traque partout cet enfant qu’il ne veut pas voir régner. Hérode est prêt à tout pour l’éliminer car le Moi jaloux ne veut pas se laisser déposséder de lui-même. Et pourtant, c’est là notre salut ; c’est dans cette transformation de nous-même que se joue notre avenir et notre vie. C’est dans cette victoire inattendue de l’enfant que nous devenons enfin nous-mêmes, et qu’advient notre être véritable, celui qui est créé à l’image de Dieu. En chacun de nous, Hérode et l'enfant se livrent un combat décisif. A vue humaine, le combat semble perdu d'avance. Mais à vue de Dieu, la victoire de l'enfant est déjà acquise. Voilà notre assurance : en Christ, l’enfant est vainqueur. Et nous sommes sauvés !


« Si vous ne changez pas pour devenir comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux » Mt 18,3


Pierre Alain Lejeune

28 décembre 2022

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