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La fidélité ordinaire





Il y a toujours un petit pincement au cœur lorsque, la fête terminée, il faut ranger la crèche, démonter les décorations et rendre à la maison son aspect ordinaire. Avec le baptême du Seigneur que nous avons fêté cette semaine, la vie liturgique a repris son cours et nous sommes entrés dans le temps dit « ordinaire », le temps de la vie ordinaire et du labeur quotidien.

Notre époque a du mal avec l’ordinaire, le quotidien, l’habituel ; sans cesse stimulés par le déferlement des images, du bruit et des informations provenant des quatre coins du monde, il faudrait être continuellement dans l’émotion et l’exceptionnel. Nous avons si peur de l’ennui que nous ne cessons de fabriquer de l’extraordinaire pour maintenir nos émotions en constante stimulation. Notre activité frénétique sur les réseaux sociaux en est un indice et contribue à nous éloigner de l’ordinaire et du réel.

Or si nos vies ont besoin du rythme des fêtes et d’événements extraordinaires, elles ont aussi besoin de l’écoulement monotone du temps qui passe et des simples gestes du quotidien. D’ailleurs la fête n’a de sens que lorsqu’elle vient rompre le cours ordinaire de la vie. Si toute la vie est fête, il n’y a plus de fête. Si nous sommes continuellement dans l’émotion, il n’y a plus d’émotion. Nos vies ont besoin d’ordinaire et de répétitif.

Là est la raison d’être du rituel dont est faite la vie liturgique, comme la vie tout court d’ailleurs. Le rituel est par définition répétitif, de même qu’est répétitif le fait de faire son lit le matin, de passer le balais ou de marcher jusqu’à l’arrêt de bus. En liturgie, le rituel nous fait entrer dans cette répétition et élève l’ordinaire de nos vies jusqu’à Dieu. Il n’est pas rare d’entendre des personnes se plaindre que la messe « c’est toujours pareil ». Mais bien évidemment, c’est toujours pareil ! C’est même fait pour cela…

En vérité, notre peur de l’ordinaire est une peur de l’ennui et la peur de l’ennui a toujours quelque chose à voir avec la peur de la mort. Blaise Pascal allait jusqu’à dire que « tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». Pour Pascal, l’homme qui cherche continuellement à se distraire passe à côté de l’essentiel, à côté de lui-même. Et si le véritable défi du temps ordinaire était là : retrouver la beauté des gestes répétés de chaque jour, du temps passé aux tâches besogneuses ? Je le crois profondément : nous cessons d’avoir peur de mourir le jour où nous cessons d’avoir peur de vivre.

C’est dans l’ordinaire de la vie que germe et grandit la vraie fidélité. Cela est vrai de la vie liturgique comme du reste. Bien des couples se séparent pour n’avoir pas réussi à passer le cap de la vie ordinaire. Or on s’aime véritablement lorsqu’on n’a plus peur de s’ennuyer ensemble. Et l’on grandit dans la fidélité à Dieu lorsque la prière quotidienne et répétitive prend chair dans la succession des jours. C’est ainsi que Dieu tisse patiemment Sa vie à la nôtre et nous ouvre à Son extraordinaire Présence.


Pierre Alain Lejeune

janvier 2024

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