La plus belle paroisse du monde
« La plus belle des paroisses du monde, c'est ma paroisse ! ». C'est ce que je me disais sur mon vélo hier soir, en rentrant d'une visite à une famille en deuil : un moment d'échange d'une rare densité humaine ; une heure à écouter des enfants parler de leur mère dont la fin de vie les a bouleversés. « Ma paroisse est la plus belle du monde » : c'est ce que je me disais aussi dimanche dernier à la fin de la messe dominicale, si belle, si fervente !
Je me souviens du jour où mon évêque est venu m'installer comme curé dans cette paroisse de la banlieue de Bordeaux. C'était au cours de la messe dominicale ; je découvrais une multitude de visages inconnus et je me disais : « C'est incroyable ! Tous ces gens dont je ne connais rien, voilà que je vais partager le plus intime de leur vie ; je vais écouter leurs confessions, baptiser leurs enfants, célébrer leurs mariages, enterrer leurs morts,… ». Et depuis 6 ans, c'est ce qui se passe : je me retrouve projeté dans l'intimité des familles, partageant le plus fort de leurs existences. Pourtant je le sais, dans leur vie, je ne fais que passer… La relation qui s'instaure entre un curé et ses paroissiens est difficile à décrire ; elle a quelque chose qui nous dépasse infiniment, quelque chose de Dieu. Je n'ai pas choisi cette paroisse ; les paroissiens ne m'ont pas choisi non plus. Nous nous sommes reçus mutuellement, comme un don de Dieu.
Depuis quelques années de nombreuses questions se posent au sujet de l'identité et la mission du prêtre. On se demande par exemple s'il faut continuer à l'appeler « mon Père » ou pas ? Pour ma part j'ai toujours laissé chacun libre de m'appeler comme il l'entendait car j'estime que ce n'est pas à moi d'imposer cette paternité ; elle ne peut être qu'accueillie. Mais il me semblerait faux de ne pas assumer cette paternité spirituelle qui nous est confiée comme une mission. Il est juste d'appeler le prêtre « Père » précisément parce que Dieu seul est Père et que le prêtre est signe de cela, signe que toute paternité vient de Dieu.
Le débat sur le célibat lui aussi ne cesse d'agiter les plateaux TV et les réseaux sociaux. Mais la question du célibat est très mal posée si on la déconnecte de cette relation entre un prêtre et sa mission, un curé et sa paroisse. Ma paroisse, c'est ma vie ! Comment pourrais-je être pasteur au nom du Christ si je plaçais ailleurs le centre de ma vie ? Si une femme et des enfants occupaient le cœur de ma vie alors mon sacerdoce passerait au second plan, comme une profession, comme une fonction. Au risque de faire de moi un fonctionnaire…
Pour un curé, sa paroisse ne peut être la plus belle du monde que dans la mesure où personne n'occupe cette place dans son cœur. On pourra bien débattre des heures et des années pour savoir si le célibat des prêtres est adapté ou non au monde actuel, on passera à côté de l'essentiel si l'on ne voit pas cela, si l'on oublie que le prêtre est signe du Christ donné au monde. Ma paroisse est la plus belle du monde car Dieu me l'a confiée afin que je l'aime comme Il l'aime.
Pierre Alain Lejeune
Le 13 octobre 2023
Comments