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Nos blessures de ressuscités


Il est un trait de l’évangile qui ne cesse de me surprendre. Les disciples reconnaissent Jésus ressuscité… à ses plaies. Avons-nous suffisamment prêté attention à ce détail rapporté par les évangiles ? Nous aurions pu penser que les disciples reconnaîtraient Jésus à son visage, à la couleur de ses yeux ou au son de sa voix. Mais non… Ce sont les stigmates de sa passion qui attestent que c’est bien lui. Beaucoup de choses ont changé dans l’apparence physique de Jésus après sa résurrection puisqu’aucun de ses amis ne le reconnaît d’emblée : Marie Madeleine le prend pour le jardinier, les disciples marchant vers Emmaüs pour un inconnu. Mais un détail demeure qui atteste que c’est bien lui : la marque des clous dans ses mains et de la lance dans son côté. Tout semble nouveau dans son corps, tout sauf ses blessures. C’est comme si elles faisaient désormais partie son identité…

S’il en est ainsi pour Jésus, je ne vois pas pourquoi il en irait différemment pour nous. N’est-ce pas d'ailleurs l’expérience que nous faisons de nous-mêmes en vieillissant ? Ce sont les épreuves de nos vies, ce sont nos blessures les plus profondes qui nous ont façonnés, qui ont fait de nous ce que nous sommes devenus. De nos genoux écorchés d’enfants jusqu’aux deuils qui nous éprouvent tant ; ces blessures-là qui ne disparaissent jamais, celles dont on ne guérit pas, celles dont nous disons qu’il faut apprendre à vivre avec ; ces blessures qui deviennent un peu nous-mêmes. L’Évangile nous apprend que, de ces blessures-là, il restera quelque chose après notre mort ; juste une cicatrice attestant que nous sommes passés par là...

Ma mère, après un grave accident de montagne, a vécu les 14 dernières années de sa vie, clouée sur un fauteuil, tétraplégique. Et durant les années de son handicap, elle me posait souvent cette question à laquelle je n’ai jamais pu répondre : « Est-ce qu’au ciel - si j’y suis accueillie un jour – est-ce que j’aurai encore mon fauteuil ? ». Je n’ai jamais pu lui répondre tant cette question me bouleversait. Question beaucoup moins naïve qu’il n'y paraît… Question immense et magnifique ! « Est-ce que j’aurai encore mon fauteuil ? Est-ce que je porterai encore la marque de mes blessures comme Jésus les stigmates de sa passion ? ». Maintenant qu’elle est au ciel – ce dont je ne doute pas - elle sait enfin...

Au paralytique qui est porté devant lui, Jésus dit : « Lève-toi, prend ton brancard et rentre chez toi » (Mc 2,11). Et l’homme rentre chez lui, son brancard sous le bras ; il porte lui-même le signe de sa blessure passée. Son passé n’est pas effacé ni oublié, il est transfiguré ! Si nous n'entretenons que le vague espoir que nos blessures soient un jour effacées comme par un coup de baguette magique, alors nous sommes encore assez loin de ce que proclame l’Évangile. Car Jésus ressuscité portant les marques de sa passion nous révèle autre chose : non pas nos blessures niées mais nos blessures révélées dans leur vérité profonde ; comme la marque des combats que nous aurons menés en cette vie et qui nous auront façonnés peu à peu ; nos blessures passées au feu de l’amour de Dieu, accueillies dans le cœur de Dieu. Nos blessures cicatrisées certes mais toujours-là, comme transfigurées.

Vous me direz peut-être : « A Emmaüs, ce n’est pas à ses stigmates que les disciples ont reconnu Jésus mais au geste de la fraction du pain ». C’est vrai. Mais précisément, le geste de l’eucharistie ne peut se faire que les mains ouvertes, découvertes, exposées. Et si c’était aussi en voyant les mains de Jésus et la marque des clous que les marcheurs d’Emmaüs l’avaient reconnu ? Et si dans le geste de l’eucharistie nous savions nous aussi reconnaître la passion, la mort et la résurrection du Christ : le sacrement qui nous unit à sa mort et sa résurrection. Le sacrement qui passe la mort.

C’est bien ainsi que nous pouvons nous approcher de l’eucharistie : les mains ouvertes pour lui exposer toutes nos blessures, toutes nos luttes, toutes nos chutes. Et je crois qu’un jour, c’est ainsi que le Seigneur nous reconnaîtra. Je crois que c’est ainsi que nous pourrons nous avancer vers lui pour lui dire, comme Jésus le fit pour ses disciples : « C’est bien moi ! Regarde mes mains, regarde mes blessures. Tu me reconnais ? Souviens-toi ce que nous avons traversé ensemble ». Et le Seigneur nous reconnaîtra à la marque de nos blessures de ressuscités, témoignant de l'amour qui nous aura éprouvés.


Pierre Alain Lejeune

17 avril 2022


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