Prendre son envol
L’observation des animaux nous apprend souvent beaucoup de choses sur nous-mêmes. Avez-vous déjà vu un albatros prendre son envol ? Cet oiseau - le plus gros des oiseaux marins - est impressionnant de par son poids et son envergure lorsqu’il déploie ses ailes. Une fois dans les airs, il peut voler paraît-il, des milliers de kilomètres sans s’arrêter. Mais le point faible de cet oiseau, c’est son envol. Il est si grand et si lourd qu’il éprouve une grande difficulté à s’envoler ; il court maladroitement en battant des ailes et nombre de ses tentatives échouent. Si bien que parfois il n’a d’autre solution que de se jeter du haut d’une falaise pour enfin s'arracher au sol.
Voilà une belle analogie avec la vie humaine. Comme il est difficile à l’homme de prendre son envol ! Si souvent, il ressemble à l’albatros, empêtré dans des ailes trop grandes pour lui, empêtrés dans des liens qui l’empêchent de prendre de la hauteur. Si souvent, l’homme cherche à se libérer de ce qui le cloue littéralement au sol : sa peur, ses servitudes, son égoïsme aussi. Il faut parfois toute une vie pour réussir son envol…
Dans l'Evangile, le récit de l’appel des premiers disciples a de quoi nous impressionner. Voilà quatre hommes - Simon, André, Jacques et Jean - qui ont, semble-t-il, pris leur envol d’un coup d’un seul : « Aussitôt, ils le suivirent ». Un peu comme on se jette du haut d’une falaise pour s’envoler. La soudaineté de leur réponse nous laisse sans voix. Pourtant, ceux qui connaissent un peu l’Évangile savent bien que la suite ne sera pas aussi simple que ce départ fulgurant. Simon aura bien du mal à consentir au chemin de Pâques et fera l’expérience de sa fragilité. Jacques et Jean dans leur prétention orgueilleuse devront apprendre l’humilité. Tout cela prend du temps. Beaucoup de temps...
Au fil des jours, un prêtre entend de nombreux récits de vie : des fiancés préparant leur mariage, un étudiant qui tâtonne dans la recherche de son avenir, une vielle dame sentant la mort approcher. Et dans la préparation des obsèques, j’écoute toujours le récit de la vie d’un défunt par ses proches ; des vies lumineuses parfois qui ont éclairé largement autour d’elles. Parfois aussi, des vies blessées, des vies blessantes, les haines ordinaires et toutes les bassesses dont les humains sont capables. Et pourtant, même là, il faut chercher la perle, chercher à entendre le trésor caché, chercher à reconnaître l’albatros qui a tenté son envol. Il y a tant de belles vies autour de nous ; tant d’hommes et de femmes qui, avec leurs maladresses et leurs lourdeurs, parviennent malgré tout à s’élever avec la grâce de Dieu ! Quand la grâce l’emporte sur notre pesanteur…
Chez l’albatros, le contraste est saisissant entre le décollage si maladroit et le vol si majestueux ; un vol presque sans fin. Voilà qui devrait nous donner de l’assurance. Jésus appelle chacun de nous à le suivre, à prendre son envol. Et nos tiédeurs, nos timidités, nos hésitations ne doivent pas nous effrayer ; car si l’envol n’est pas toujours gracieux, le voyage lui, a goût d’éternité.
Pierre Alain Lejeune
28 janvier 2023
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